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mardi 19 février 2013

Samedi 16 février 2013. 21h10.

Nous avons fini de ranger le bois. Norbert nous en a vendu une corde. Il lui en reste de l’an dernier. Du chêne bien sec. Il nous l’a apporté en plusieurs voyages avec sa remorque. Mais non, ça ne me dérange pas. Et à trois, ça va plus vite ! Norbert est d’une gentillesse débordante. Et du coup, on ne sait plus comment le remercier. Penses-tu, ce n’est rien du tout. On a pris un verre de viognier. Grande promenade le long de la falaise. J’ai eu l’impression que cela faisait longtemps que nous n’avions pas autant marché. La mer était laiteuse de nacre, sans une ride de vent, si calme sous le soleil qu’on y voyait serpenter le Lude depuis son embouchure jusqu’au très au loin.

lundi 18 février 2013

Samedi 16 février 2013. 11h20.

La 4L était sous des bâches depuis l’automne dans le garage des Fontenelles. Trois tours de démarreur. Elle est repartie sans problème. Tourteaux et praires au marché de Granville. Une pintade. Deux belles poignées de pissenlits et une tranche de lard fumé pour les accompagner. Nous sommes passés chez Jean-Marc Jungers, rue des Juifs. Des mois que je lui avais laissé à restaurer un tableau acheté un jour de braderie. Il représente un sentier taché de soleil au bord d’une forêt claire. Derrière, on devine un paysage vallonné. A la maison j’avais déchiffré la signature : Claude Rameau. Je n’avais pas eu mauvais goût. Certains critiques en effet rapprochent ce paysagiste de Daubigny ou de Sisley. « Peintre de la Loire », Rameau est mort à quatre-vingts ans en 1955, l’année de ma naissance. Je suis toujours aux aguets des hasards. Jean-Marc Jungers a fini son travail. La toile, posée sur un nouveau chassis, a retrouvé toute sa lumière, toutes ses couleurs. On choisit un cadre ?

Vendredi 15 février 2013. 22h20.

Nous avons pris le premier train. Norbert nous attendait au bout du quai à Granville. Amélie l’avait appelé hier. Tu sais que nous sommes sans voiture… - Enfin, bien sûr que je peux venir vous chercher ! Il nous a même arrêtés au marché de Jullouville le temps de nos courses de déjeuner. Déballé les affaires, ouvert le courrier. Passés voir Georgette. Elle avait sorti les verres et les biscuits salés. Je n’étais pas bien sûre, pourtant je me disais bien que vous viendriez. Il faisait un temps radieux. L’après-midi, nous sommes descendus à la plage. Longé la grève jusqu’au Crapeu, rentrés par les villas du front de mer. Volets fermés, peintures qui s’écaillent, jardins à l’abandon. Elles sont presque toutes en triste état et j’avoue que j’ai du mal à comprendre comment on peut à ce point les laisser se dégrader. On imagine tellement comment on pourrait les habiter… Il en est une qui m’a toujours fait rêver : Capharnaüm. Une drôle de bâtisse néo-byzantine flanquée d’une tourelle. Avec des tamaris fatigués qui débordent le mur d’enceinte. Elle a été conçue en 1900 par Gustave Eiffel, dit-on. Les aménagements que les différents propriétaires lui ont fait subir l’ont pas mal abîmée, mais elle a gardé un charme vraiment extraordinaire. Elle vient d’être vendue à nouveau. Une fortune… Allez, pas de regrets.

vendredi 15 février 2013

Jeudi 14 février 2013. 23h00.

Feuilles de présence remplies à Censier ce matin. J’avais le plein d’étudiants. C’est la cinquième année déjà que je fais ces cours. De rentrée en rentrée, je m’attache davantage. Je les sens à la fois si désemparés et si confiants. Si enthousiastes et joyeux, étrangement tristes, parfois. Si désireux d’apprendre, avec cette insolence de leur âge d’avoir le sentiment de tout savoir déjà. Ils ont vingt ans. Quelquefois même pas. Je les aime bien. Vraiment. Un étudiante m’a fait une revue de presse « Saint-Valentin » : les informations du jour vues à travers le prisme de l’amour. Elle a enchaîné sans à-coups le départ du pape, le vote du mariage homosexuel à l’assemblée, le scandale de la viande de cheval dans les plats surgelés et ce nouveau bébé que voudraient Mariah Carey et Nick Cannon. En voilà une qui a compris ce qu’était une actu, un angle, des liaisons. Bien peu de critiques à lui faire. Après-midi de paperasses avant mon rendez-vous de lundi à l’hôpital. Amélie était retenue à un dîner. J’étais invité à un cocktail au Musée de la chasse et de la nature pour le lancement de la biographie de François Sommer publiée chez Buchet-Chastel. Je n’y étais jamais venu auparavant. Ce soir, toutes les salles étaient librement ouvertes à la visite. Quel choc ! Sur trois étages, une foule de trophées, d’animaux empaillés (deux gigantesques ours blancs, des lions, des panthères, des gorilles), partout aux murs des tableaux de Desportes, de Chardin, d’Oudry. J’étais comme dans un rêve. Retrouvé là-bas Marie-Joséphine Strich qui avait rédigé la préface des Innocentes ou la sagesse des femmes d’Anna de Noailles, le dernier volume de ma collection « Domaine public ». Salué Vera. Marché jusqu’à la maison. Amélie n’était toujours pas rentrée. J’ai veillé un moment. Fini par me coucher.

jeudi 14 février 2013

Mercredi 13 février 2013. 22h10.

A nouveau La Harpe aujourd’hui. C’était le jour de son enterrement. Je suis allé chercher les Mémoires d’outre tombe. Relire ce que disait de lui Chateaubriand. J’arrivai pour voir mourir un homme qui appartenait à ces noms supérieurs au second rang dans le XVIIIe siècle, et qui, formant une arrière-ligne solide dans la société, donnaient à cette société de l’ampleur et de la consistance. J’avais connu M. de La Harpe en 1789 : comme Flins, il s’était pris d’une belle passion pour ma sœur, madame la comtesse de Farcy. Il arrivait avec trois gros volumes de ses œuvres sous ses petits bras, tout étonné que sa gloire ne triomphât pas des cœurs les plus rebelles. Le verbe haut, la mine animée, il tonnait contre les abus, faisant faire une omelette chez les ministres où il ne trouvait pas le dîner bon, mangeant avec ses doigts, traînant dans les plats ses manchettes, disant des grossièretés philosophiques aux plus grands seigneurs qui raffolaient de ses insolences ; mais, somme toute, esprit droit, éclairé, impartial au milieu de ses passions, capable de sentir le talent, de l’admirer, de pleurer à de beaux vers ou à une belle action, et ayant un de ces fonds propres à porter le repentir. Il n’a pas manqué sa fin : je le vis mourir chrétien courageux, le goût agrandi par la religion, n’ayant conservé d’orgueil que contre l’impiété, et de haine que contre la langue révolutionnaire. À mon retour de l’émigration, la religion avait rendu M. de La Harpe favorable à mes ouvrages : la maladie dont il était attaqué ne l’empêchait pas de travailler ; il me récitait des passages d’un poème qu’il composait sur la Révolution; on y remarquait quelques vers énergiques contre les crimes du temps et contre les honnêtes gens qui les avaient soufferts : « Mais s’ils ont tout osé, vous avez tout permis/ 
Plus l’oppresseur est vil, plus l’esclave est infâme ». Oubliant qu’il était malade, coiffé d’un bonnet blanc, vêtu d’un spencer ouaté, il déclamait à tue-tête ; puis, laissant échapper son cahier, il disait d’une voix qu’on entendait à peine : « Je n’en puis plus : je sens une griffe de fer dans le côté. » Et si, malheureusement, une servante venait à passer, il reprenait sa voix de Stentor et mugissait : « Allez-vous-en ! Fermez la porte ! » Je lui disais un jour : « Vous vivrez pour l’avantage de la religion. — Ah ! oui, me répondit-il, ce serait bien à Dieu ; mais il ne le veut pas, et je mourrai ces jours-ci. » Retombant dans son fauteuil et enfonçant son bonnet sur ses oreilles, il expiait son orgueil par sa résignation et son humilité. Dans un dîner chez Migneret, je l’avais entendu parler de lui-même avec la plus grande modestie, déclarant qu’il n’avait rien fait de supérieur, mais qu’il croyait que l’art et la langue n’avaient point dégénéré entre ses mains. M. de La Harpe quitta ce monde le 11 février 1803 : l’auteur des Saisons mourait presque en même temps au milieu de toutes les consolations de la philosophie, comme M. de La Harpe au milieu de toutes les consolations de la religion ; l’un visité des hommes, l’autre visité de Dieu. M. de La Harpe fut enterré, le 13 février 1803, au cimetière de la barrière de Vaugirard. Le cercueil ayant été déposé au bord de la fosse, sur le petit monceau de terre qui le devait bientôt recouvrir, M. de Fontanes prononça un discours. La scène était lugubre : les tourbillons de neige tombaient du ciel et blanchissaient le drap mortuaire que le vent soulevait, pour laisser passer les dernières paroles de l’amitié à l’oreille de la mort. Le cimetière a été détruit et M. de La Harpe exhumé : il n’existait presque plus rien de ses cendres chétives. Je ne serai pas allé cette fois-ci au Père-Lachaise pour l’anniversaire, comme en 2003 où j’avais déposé une couronne sur sa tombe. Mais j’y passe de temps en temps. J’irai bientôt, promis. J’ai préparé mon atelier de demain à Censier avec les étudiants. Pas terminé les corrections de leurs travaux.

Mardi 12 février 2013. 23h15.

J’ai rendu ma chronique pour le Next du mois de mars à Françoise-Marie. Parlé de la poésie dont tout le monde se fout. En mars, justement, c’est « Le printemps des poètes ». Tu parles... Le ministère de l’Education nationale vient de supprimer 60 000 € de subventions à la manifestation. J’ai reçu au courrier un mot de Raphaëlle avec des photos de sa toute petite fille née le 16 décembre. Anouk. Elle a de grands yeux tout bleus qui guettent je ne sais quoi. J’ai lu. Rangé les livres. J’étais invité par François Escoube à la remise du prix Marguerite Audoux. Ca se tenait dans une école primaire du VIe, rue Delambre. La salle, genre gymnase ou préau fermé, sentait la cantine, l’eau de javel et le pipi des toilettes. C’est bizarre comme l’émotion tient à vraiment pas à grand chose. La lauréate cette année était Barbara Constantine pour Et puis Paulette chez Calmann-Lévy. J’ai retrouvé là-bas les membres du jury : Valérie qui partait au Congo le lendemain, Anne-Marie, Bernard-Marie… Nous étions aussi quelques uns des anciens lauréats. Ce prix, je l’ai eu en 2004 avec 16 rue d’Avelghem. J’étais fier. C’est un beau souvenir. Je suis resté un moment à bavarder avec Sylvie. J’ai raccompagné Françoise jusqu’au métro Raspail. Pris le bus pour rejoindre Amélie au Bistrot de Paris. Elle m’avait invité à dîner. Nous avions quelque chose à fêter. Une date dans les années de notre histoire. On s’aime. Tout ira bien.

Lundi 11 février 2013. 22h00.

J’ai écrit mon papier sur Les métiers terrestres de Rodolfo Walsh. J’aurais dû le faire ce week-end, mais vendredi je n’avais toujours pas reçu le calibrage du numéro du Monde. En fait, la parution est repoussée. Déjà la semaine dernière, ma brève sur le Francesca Kay n’était pas passée. Je trouve cela un peu démoralisant. J’avais fait, dès novembre, tout un tas de propositions en littérature française pour la rentrée de janvier : Pierre Patrolin, Guy Gofette, Alice Massat, Franck Maubert, Pascal Kramer et j’en oublie. Proposé aussi pour février Michèle Lesbre dont j’avais suivi les romans en 2007 et 2009. Je n’ai pu parler que de Profanes de Jeanne Benameur et on m’a laissé quelques lignes sur Joanne Anton et Liège, oui. J’ai tendance à trouver que ce n’est pas grand chose. Bien moins qu'avant, en tout cas. Et le pire c’est le silence. J’ai découvert dans le journal de jeudi dernier un (très beau) portrait de Michèle Lesbre par Macha Séry. J’aurais juste aimé qu’on me prévienne. C’est si difficile de ne rien savoir. Les éditeurs, les attachées de presse m’appellent. Où en es-tu ? Et je ne peux rien répondre. Ajouter à cela qu’à la fin du mois, si je ne travaille pas, je n’ai pas d’argent. Enfin je suis inquiet... J’ai envoyé un message à Florent et à Jean : J'attends avec impatience de vos nouvelles. Pas d’écho pour l’instant. De Rodolfo Walsh, cet écrivain et journaliste argentin assassiné par la junte en 1977, je n’avais lu qu’Opération massacre paru chez Bourgois en 2010. Un livre mêlant journalisme et fiction, écrit à partir du témoignage d’un des survivants d’une exécution sommaire après le coup d’État de 1955. Les métiers terrestres est un recueil écrit avec une paradoxale distance. On est en recul et puis on est tout près. Comme pris dans une cage aux miroirs. Trois textes, notamment, jouent à touche-touche dans l’espace clos d’un collège religieux pour orphelins descendants d’immigrants irlandais. Quelles terribles histoires de rage. Et de courage.

Lundi 11 février 2013. 8h30.

Il y a deux cent dix ans aujourd’hui mourait Jean-François de la Harpe. Mon étrange compagnon du XVIIIe siècle. Je pense à lui. Relu ce que j’avais écrit dans Le premier pas suffit : Le temps est en suspend. Pause respiratoire. Tu demandes qu’on récite la prière des agonisants. La litanie des saints. Ta main se lève à peine. À qui fais-tu un signe ? Jeannette sur ton front passe un linge mouillé. Ta voix dans un soupir. Timidement, elle répète à ces messieurs ce que tu as murmuré. « C’est consolant et beau. » Les voilà qui s’approchent contre le bois du lit. On dirait une gravure. Chambre du moribond. Mieux : Les derniers adieux. Tu essaies de sourire. La vie c’est du théâtre. Ou de la poésie. Sinon c’est impossible. Tu reniflais tes larmes dans la rue Saint-Victor. Tu n’avais pas dix ans et ton père était mort. Le froid de février s’insinue sous la porte. Tu ne peux plus bouger. « Et vous ma mère, vous, venez fermer mes yeux. » Encore Mélanie. Un filet de salive glisse au coin de ta bouche. Vendredi 11 février 1803. Sept heures du matin. Rideau. « C’est sans retour. »

lundi 11 février 2013

Dimanche 10 février 2013. 23h50.

Il pleut toujours. Une grosse flaque s’est creusée devant la barrière et l’eau ruisselle dans le chemin. Nous avons profité d’une vague éclaircie pour porter à Georgette le gâteau à l’orange et les crèmes aux œufs qu’Amélie lui prépare chaque semaine. Un verre de vin blanc ? De sa fenêtre, on aperçoit la maison des Anglais aux volets fermés, l’ancienne boucherie Vadaine. Sur le toit une impressionnante colonie de pigeons. Au moins une trentaine. Et davantage posés au faîte de l’église. Qu’est-ce qui vaut ce rassemblement ? Nous avons filé entre les gouttes. A vendredi ! Le village est désert. Remis une bûche au feu en arrivant. Jean-Pascal est passé après le déjeuner. Cela fait un bon mois qu’il n’était pas venu à Carolles. Chez lui, début janvier, tout le monde a attrapé une sale grippe qui a duré très longtemps. Agathe ne s’en est d’ailleurs toujours pas remise complètement. Elle traîne une longue fatigue qui ne passe pas et n’a pas pu reprendre tous ses cours. Pas d’appétit non plus. Elle ne revient pas. Jean-Pascal est inquiet... Rangé la maison. Rassemblé les affaires. Monique et Jean-Marie sont venus nous chercher pour nous conduire à la gare de Folligny. Dans le train, quelques carnavaliers de Granville : une panthère, deux souris, un clown trempé. Voyage interminable. Pas de pluie à Paris (il paraît qu'il avait neigé dans l'après-midi), mais un vent froid, humide qui soufflait du boulevard Pasteur à la place de Catalogne. Plus de bus. Nous sommes rentrés à pied.

dimanche 10 février 2013

Samedi 9 février 2013. 21h20.

J’ai reçu au courrier deux nouvelles écharpes anglaises. De ces longues écharpes de collège avec des bandes de couleurs vives. Je suis maintenant à la tête de toute une collection. Je voulais en rapporter une de notre voyage à Londres un peu avant Noël. Mais là-bas, rien à faire pour en trouver. Boutique après boutique, je commençais à désespérer. Mais tu cherches quoi au juste ?, m’avait demandé Amélie. J’étais en train de me lancer dans une énième explication quand, devant une vitrine de Savile Row, j’ai aperçu une jeune fille toute emmitouflée. Regarde, c’est ça, c’est ça ! - I beg your pardon, miss, but where did you buy your scarf ? Bon, c’était celle de son école et quant à en acheter… You should try on the net. Nous sommes rentrés en France, mais l’idée ne m’a pas quitté. En fait, il s’agit d’une histoire très ancienne. Au collège Saint-Vincent, à Senlis, lorsque j’étais en classe de quatrième, c’était la mode, le nec plus ultra. Ils étaient un certain nombre à se pavaner avec. L’élite, quoi. D’où les tenaient-ils ?, grand Dieu, je ne sais pas. Mais nous autres, tous les autres, nous n’avions guère de moyen d’entrer en compétition. Tout au plus nous affublions-nous de cache-nez rayés. Rien à voir. Nous étions ridicules. Des « péqs » comme ils disaient (comprendre péquenots). Il m’en est resté un sentiment d’envie et de honte. D’autant que je les connaissais bien ces écharpes, de mes étés d'avant chez Mr. et Mrs. Palmer en Angleterre, des après-midis sur le green à Chigwell, des balades à Cambridge. Les années ont filé, mais je n’ai jamais vraiment oublié. Va savoir pourquoi. You should try on the net. J’ai écouté le conseil de la jeune fille de Savile Row. Avec ces deux-là, tu en as au moins douze maintenant, a ri Amélie. Tu ne pense pas arrêter ? Il m’en reste au moins une que j’ai pistée sur un site de vente : Rare University of Cambridge 1940s dark purple & dark pink college scarf. Celle-la encore. Après, on dira que mon enfance aura été vengée. Fait un saut chez Georgette. Parlé du temps. Celui qu’il fait et celui qui passe. Il pleut sans discontinuer et son moral n’est pas au grand beau fixe. C’est surtout au moment de se coucher. Il y a tout qui revient, tu sais. Oh oui, je comprends bien. Il s’en bouscule des gens, des moments, des mots, des paysages. Des histoires pas finies. Des phrases en suspens. Nous avons été porter la Twingo au garage de Fabien, à Pontaubault. Il y a des mois que je dois refaire la distribution, les freins, changer les pneus avant. Essentielle petite voiture. Il ne faudrait pas qu’elle tombe en panne. Ma mère l’avait achetée en 2000. Ce sera ma dernière, avait elle dit. Quatre 4L, deux R5 et celle-ci… Nous sommes rentrés à Carolles avec le père de Fabien. Les réparations seront achevées pour le week-end prochain.

Samedi 9 février 2013. 10h30.

C’est la sainte Apolline aujourd’hui. J'ai envoyé un message pour ma filleule à Mexico... Pas trop voulu me souvenir de la vierge d’Alexandrie martyrisée du temps de l’empereur Dèce. J’ai préféré rappeler que son prénom venait d'Apollon, le dieu grec de la poésie, du chant et de la musique. Dieu solaire des purifications et des guérisons aussi. Et apporter mon offrande, la plus douce, aux pieds de cette petite Déesse.

samedi 9 février 2013

Vendredi 8 février 2013. 23h45.

Nous nous sommes réveillés tard. Marché à Jullouville. N’allez pas à Granville demain avec ce carnaval !, a prévenu Georgette. Elle nous a dicté sa liste de courses. Un peu de poisson, des légumes pour faire du bouillon. En ce moment, je n’ai pas envie de grand chose. Déjeuné d’une belle tranche de faux-filet. J’ai travaillé l’après-midi au jardin. Derrière, les perce-neige sont sortis. Et deux jonquilles aussi ont fleuri près du frêne. Quand donc va passer l’élagueur ? J’ai ramassé les feuilles mortes collées à l’herbe, balayé la terrasse. Nettoyé la grande plate-bande aux narcisses. J’ai continué jusqu’au sombre, ce chien-loup, le moment où, disait ma mère, on ne distingue plus un fil noir d’un fil blanc. Nous avions invité Monique et Jean-Marie. J’avais cuisiné un « oursin granvillais », arrosé de vin blanc, au four, avec une fondue d’échalotes et de tomates. C’était bon, mais sans plus. J’étais un peu déçu. Bu pas mal de Domaine de Ségonzac, une première-côte-de-blaye 2008. Et bavardé... longtemps.

Jeudi 7 février 2013. 22h40.

Les manèges ont envahi la place de la gare. Vilaine période que celle du carnaval. Nous avions garé la voiture dans la rue Couraye, mais dimanche prochain ce ne sera plus possible. D’ailleurs, on ne pourra même plus accéder à Granville. L’année dernière la circulation était bloquée dès la route de la crète. Il avait fallu aller chercher le train à Folligny. Retrouvé le jardin trempé de pluie. La cour en boue. La maison froide. Amélie a fait un feu. Je prépare à dîner ?

Jeudi 7 février 2013. 16h00.

Les jours allongent. Oh, ce n’est presque rien, mais je m’en suis aperçu ce matin. Tous les jeudis, je pars tôt pour la fac. Je suis rue Daguerre à peine passé sept heures un quart. Ce sont encore les livraisons. Les portes des camions frigorifiques ouvertes en grand avec les quartiers de bœuf pendant aux crochets, les palettes s’entassant devant le Franprix. Les fruitiers et le poissonnier installent leurs étals. Premiers clients à la boulangerie. Ca vit. Je suis dans les dernières minutes de cette aristocratie des gens debout de bonne heure. Aujourd’hui le ciel avait laché la nuit noire. Il était juste encore foncé, couleur d’encre bleue, éclairé du dedans, avec les nuages qui filaient comme des ombres chinoises. Le temps du trajet en métro, Denfert - Place d’Italie – changement – Censier, et je savais qu'il ferait jour. Vraiment. Enchaîné mes quatre heures de cours avec les étudiants. Questionnaire d’actualité : le dernier sondage sur le Front national, l’assassinat de Chokri Belaïd à Tunis, l’autobiographie de Johnny Hallyday, le grand prix du festival d’Angoulême, David Beckham faisant de la pub pour les slips H&M. Et puis leur parler de culture générale et d'associations d’idées. Du message essentiel, de l'attaque, de la chute et du fameux plan en pyramide inversée. Pas le temps de passer chez Caractères. J’ai déjeuné avec Amélie au Pré Verre. Les propriétaires viennent de changer mais la cuisine reste la même. Au menu, terrine de carottes et langue de bœuf. J’ai échangé de justesse contre salade verte et bavette poêlée. Rentré mettre un peu d’ordre à la maison. Florence a appelé pour le prochain numéro du Monde. Tu aurais un 3500 signes à me proposer ? – Rodolfo Walsh ? Les métiers terrestres, ses nouvelles parues chez Lux... Bon, je vais avoir du travail pour la fin de semaine.

Mercredi 6 février 2013. 22H20.

Virginie nous a envoyé des photos des filles prises le week-end dernier à Ixtapan. Apolline, écrit-elle, est évidemment celle qui change le plus en ce moment. Oui, elle grandit vraiment. Quinze mois. Mais ce qui m’impressionne davantage, alors que nous ne les avons pas vues depuis l’été dernier, c’est de se rendre compte, d’une série de clichés à une autre, à quel point les trois autres (six, huit et douze ans, si je compte à peu près les dates anniversaires) se transforment. Mieux : se métamorphosent… Surtout Camille. J’en retenais mon souffle en regardant. Quelle étrange passage de l’enfance à la jeunesse. Quel bouleversement. J’ai préparé mes cours pour demain à Censier. J’ai de nouveaux étudiants ce second semestre. A part deux ou trois qui ont tenu, malgré les injonctions de l’administration, à rester avec moi. Ca me touche vraiment, mais j’ai peur qu’ils s’ennuient. Pendant quelques séances, je vais recommencer à peu de choses près le même enseignement. Je vais réfléchir à ce que je peux leur proposer pour qu’ils ne perdent pas leur temps. Préparé le dîner. Ce mercredi, Amélie rentrait tard d'un rendez-vous vers la République. Je voulais faire des jacket potatoes avec de la crème, du munster fondu et des lardons, mais en cours de cuisson, mes grosses pommes de terre se sont effondrées lamentablement. Cela a fini en gratin avec une salade de mesclun.

mercredi 6 février 2013

Mardi 5 février 2013. 19h30.

J’ai écrit un petit papier pour Le Monde sur Le temps de la Passion, le deuxième roman de Francesca Kay. La chronique bouleversée d’une Semaine sainte dans une paroisse catholique du sud de Londres. En nettoyant un grand crucifix en plâtre, Mary-Margaret, une jeune fille un peu simplette, confite en dévotions, a l’impression qu’un sang bien réel coule des plaies du Christ. Tandis que des illuminés crient au prodige et que l’âme exaltée et fragile de Mary-Margaret vacille, se révèlent des personnages infiniment touchants confrontés à leurs espoirs, leurs craintes et leurs élans. Un livre des drames tout empli de délicatesse. Je me suis remis aux corrections du tome II des Œuvres complètes de Durocher. J’étais passé voir Nicole la semaine dernière. Pendant tout mon silence, elle m'a adressé des petits mots. Je m’inquiétais de toi, a-t-elle juste dit. Mais je t’attendais.

Lundi 4 février 2013. 23h50.

Amélie m’a accompagné à mon rendez-vous ce matin. Depuis le début de toute cette histoire, elle est là, sans cesse présente, précieuse. Essentielle. Elle m’arrache à mon noir cafard, à mes angoisses. Elle me rend à la vie, à la douceur des choses. C’est son amour qui me sauve. Je n’ose pas imaginer comment ce serait sans elle. Sur le chemin de l’hôpital, rue Charles-Fourier, nous avons croisé Claudine au moment où elle sortait de chez elle. On n’a pas osé compter, mais ça fait bien trois ans que nous ne nous sommes pas vus. Tiens-moi au courant. J’ai passé un long scanner, un peu pénible. Nouvelle consultation le 18 février. Le traitement commencera dès le lendemain. Tous les jours. J’avais annulé mon déjeuner avec Christine. Je suis rentré à la maison. J’ai appelé Marie pour la tenir au courant de tout cela. Nous avons parlé longtemps. Il faisait doux. J’ai marché dans Paris. La Bastille, la place des Vosges. Je me suis arrêté prendre un verre sous les arcades, à Ma Bourgogne. Rêvassé. Regardé les enfants jouer dans le square Louis XIII. J’avais visité avec Amélie il y a quelques semaines une exposition sur le spiritisme à la maison de Victor Hugo, de l’autre côté de la place. Dans une vitrine, on voyait la robe de mariée de Léopoldine. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps… Au Bazar de l’Hôtel-de-Ville, j’ai acheté pour Gabrielle un chien en peluche aux longues oreilles. Pris le taxi pour aller chez Marion et Jérôme. Retrouvé là-bas Claire et Emmanuel, visiblement ravis de leur séjour à Paris.

dimanche 3 février 2013

Dimanche 3 février. 20h20.

J’ai retrouvé le devis de l’élagueur. Il date de fin août. Je lui ai déjà téléphoné je ne sais combien de fois. Mais il doit toujours terminer un chantier. Et puis il y a la pluie, le vent, la neige. Je passe dans quinze jours. Promis. Depuis le temps… Je lui ai adressé un long message. Je commence à m’inquiéter. Un drôle d’avant-printemps agite le jardin. Le saule marsault est déjà en chatons. En bas du frêne les jonquilles et les jacinthes commencent à sortir. A ce rythme-là, les quelques mille oignons de chionodoxa sardensis que j'ai plantés au pied des épicéas ne devraient pas non plus tarder. Je n'aimerais pas que mes bulbes de printemps aient à souffrir du piétinement et de la chute des branches. Et aussi, j'ai laissé le jardin dans un état épouvantable, les plates-bandes rousses de fanures, les rosiers non taillés, la cour couverte d’un duvet moussu , partout des feuilles mortes. Je me disais qu’il serait toujours possible de démarrer le nettoyage à la fin des travaux. Nous avons passé un week-end paisible. Promenades lentes le long de la falaise. Je profite d’un soleil froid et vif. Je respire. Je me fais l’effet d’être convalescent. Mais c’est tout le contraire qui m’attend. Demain matin, j’ai rendez-vous pour un long examen à l’hôpital et d’ici une quinzaine je devrais débuter sept à huit semaines de traitement quotidien. J’ai pris la décision après consultation en janvier d’un autre chirurgien. Au marché de Granville, Amélie a acheté des saint-jacques et des praires, des huîtres, des homards. Nous les avons trimballés dans le train, bien au frais dans une glacière. Nous avions prévu de dîner ce soir chez Marion et Jérôme avec Claire et Emmanuel, venus passer quelques jours à Paris pour voir comme Gabrielle a grandi. Mais je ne me suis pas senti le courage. Amélie est allée seule embrasser ses parents. Comme ils sont encore là demain, ce n’est que partie remise. Oui, vraiment ce sera mieux demain.

Dimanche 3 février 2013. 15h00.

Trois mois et demi. Presqu’un automne entier et tout un pan d’hiver d’un bord à l’autre de l’année. Je me suis éteint. Recroquevillé. Plus un jour, plus une ligne. Je me suis juste efforcé de ne pas totalement sombrer. Et je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé. Fin octobre j’ai revu le chirurgien : les nouvelles n’étaient pas bonnes. Il faut attendre encore. - Attendre quoi ? - Qu’on voie quelque chose. Je ne me suis jamais senti à l’aise avec lui. Toujours à interpréter ses silences, ses soupirs. A chaque consultation ressortant un peu plus mal que je n’étais entré. Attendre… Alors, j’ai attendu. Sans bouger.

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