SWFObject embed by Geoff Stearns (basic) @ deconcept

mardi 18 novembre 2008

Dimanche 16 novembre. 22h00

Jeannine est partie sans même rien avaler à part une dosette de médicament homéopathique. A peine une minute d'au revoir. Un signe de la main. Sa voiture a filé dans le matin encore noir vers le bas de l'avenue. Elle est pressée. Ce festival de Tournai, c'est un nouveau rendez-vous avec son Maurice. Elle n'en cède pas un seul. Etonnante amoureuse. C'est ce qui la fait vivre. C'est tout ce qui la tient. Nous avons rassemblé nos affaires, rabattu le canapé, effacé le désordre de nos deux nuits dans le salon-musée. Echangé nos adresses avec Marina et bu avec elle le café. Le taxi attendait. On s'écrira, promis. Les bagages déposées à la consigne, nous avons flâné au marché de la gare du Midi. Rien à acheter ici puisque Jérôme et Marion rentrent trop tard de leur séjour à l'Ile d'Yeu pour passer comme prévu ce soir à la maison. Nous sommes remontés en tram jusqu'à la place Sainte-Catherine. Déjeuné lentement. Ecrit des cartes postales. Fait le retour à pied tout doucement vers la gare. La dernière Chimay bleue. Minuscule déprime comme en fin de vacances. Ca passe. C'était bien ce séjour... Retour à la maison. On y est bien aussi.

lundi 17 novembre 2008

Dimanche 16 novembre. 2h00

Notre nuit à nous n’a pas été très longue non plus. Etouffée de volets hermétiquement clos, de figures de musée et d’étrangeté sensible. Nous avons fait chacun des rêves agités. Petit déjeuner avec Marina qui termine son deuxième séjour ici. Cela doit être vraiment une curieuse expérience que de partager ce « tous les jours Carême » de Jeannine pendant des semaines. Se lever avec lui, vivre chaque instant dans sa présence et son ombre. Veiller avec lui. se coucher avec lui. Parler de lui, le faire parler, en récitant sans cesse ses poèmes. Raconter ce qu'il a fait et ceux qu'ils l'ont connu. Les bons amis, les admirateurs et les envieux aussi. Chaque instant est envahi. C'est beau, tendre et terrible. Dans la maison, dans le minuscule jardin, j'avais ses vers en ritournelle. Impossible de les chasser... Ma main tenait la main du temps,/ Moi aussi, j'étais éternel./Dès que j'ouvrais les bras au vent,/ Mes yeux se remplissaient de ciel.

Nous avons pris le métro jusqu'au centre. Toujours cette même grisaille humide. Nous nous sommes réfugiés au palais des Beaux-Arts où nous avons passé une bonne partie de la journée. Longue déambulation à travers l'exposition CoBrA et les oeuvres de Dotremont, Asger Jorn, Karel Appel. Mais je voulais également revoir les collections XIXe et montrer à Amélie les toiles de Khnopff et surtout celle qui représente Marguerite, sa soeur, debout dans l'encadrement d'une porte, un bras accrochant l'autre, le regard à côté, toute de blanc vêtue. Les portraits d'Evenepoel, les paysages de Vogels et de Boulenger. Ensor... Nous sommes repartis tout flottants d'impalpable vertige. Au soir nous étions invités à Ixelles. Un dîner chez Fanny la soeur de Martin qui était venu à Bruxelles avec Catherine et Simon. Simon, nous ne l'avions pas vu depuis le printemps dernier. Il a grandi, bien sûr, et attrappé une bonne bouille de petit garçon. Il y avait la mère de Martin, Pierre son père dont nous avions fait la connaissance en septembre au cocktail de rentrée de la délégation générale Wallonie-Bruxelles à Paris. Nicolas aussi, sa femme Marie et leur fils Aurélien qui du haut de ses neuf mois lançait à Amélie des yeux enjoleurs. Le repas a été gai. Familial. Fraternel en un mot. Martin nous a raccompagnés bien tard à Anderlecht. Nous avions la clé. Jeannine nous attendait discrètement. J'avais peur de ne pas vous voir avant de partir pour Tournai. Nous avons mis le réveil pour nous lever avec elle...

Vendredi 14 novembre. 23h10

Il tombait une petite bruine grise et désespérante à Mouscron. C'était ce ciel si gris qu’un canal s’est pendu, comme chantait Brel. Pourtant j’aime infiniment ce temps qui enveloppe en large froidure. Ce vent de mer, du bout de la mer, sans autres obstacles que les villes qu'il noie en lents tourbillons. J’aime tout cela, tout. Oui, tout... Et d’une province l’autre, d’une langue à l’autre, même. Zonder liefde warme liefde/ Waait de wind de stomme wind/ Zonder liefde warme liefde/ Weent de zee de grijze zee/ Zonder liefde warme liefde/ Lijdt het licht het donk're licht/ En schuurt het zand over mijn land/ Mijn platte land mijn Vlaanderland. Le presque par cœur hésitant qu’on ne comprend pas en entier. Oui, je suis ici en connaissance et en reconnaissance. Nous avons pris le train pour Bruxelles en fin de matinée. Un peu moins d’une heure de trajet. Tournai, Ath, Enghien, Halle. Amélie lisait, j’étais perdu dans la brume du paysage. De la gare du Midi, nous avons pris le taxi jusqu’à la place aux herbes et sommes allés déjeuner à la Taverne du passage, au bout de la Galerie de la Reine. Des croquettes de crevettes, du civet de lièvre, quelques verres de Mousel. Un repas bruxellois tel que je me l’imagine. Nous avons tiré notre valise à roulettes dans le quartier de la Grand-Place. Fait des achats de touristes : chocolat, spéculoos et cartes postales. Des roses aussi pour Jeannine. C’est elle qui nous héberge ces deux jours dans sa maison d’Anderlecht. Dans la maison de Maurice Carême plutôt… Maîtresse du poète au long cours, aux présents différents et au très loin des loins, elle règne aujourd’hui sur l’œuvre, les livres, les lieux et les objets. Carême est mort il y a trente ans, il n’a jamais été aussi vivant pour elle. Elle nous attendait les bras ouverts. Embrassades, champagne, charmant et interminable dîner. Elle loge en ce moment Marina Tickhanova, une jeune universitaire russe qui prépare une thèse à Smolensk sur la poésie de l’enfance en France. Marina occupait la chambre à l’étage, nous avons installé notre couchage dans le lourd canapé pliant du salon au milieu des bustes, des portraits, des souvenirs. Jeannine, à quatre-vingt-trois ans, passait, elle, la nuit sur un lit de camp dans son bureau. Courte nuit d’ailleurs. Elle partait aux aurores pour installer son stand Maurice Carême à la foire du livre de Tournai.

Jeudi 13 novembre. 23h50

J’étais à Mouscron sur le coup de midi. Quelqu’un était venu me chercher en voiture à la gare de Lille. Un quart d’heure de voiture. Roubaix, Wattrelos… La frontière belge qu’on franchit sans s’en apercevoir. Itinéraire connu. Je n’ai pas osé demander à passer par la rue d’Avelghem. Les pudeurs sont idiotes… La bibliothèque de Mouscron est en partenariat avec le festival du premier roman de Chambéry. Je devais présenter les auteurs que j’avais déjà vus là-bas et qui viendront en Belgique en janvier prochain. Une première séance avec des lecteurs au bar de la bibliothèque (un vrai bar dans une bibliothèque, un bonheur !), une dernière en début de soirée avec des enseignants et des professionnels du livre. Entre les deux, j’ai eu le temps de traîner un peu en ville. Ce n’est pas que ce soit beau ici, mais j’y suis bien. Je suis considérablement attaché à cette petite ville. C’était, lorsque j’étais enfant, LA destination. Un Eldorado frontalier où mes oncles s’approvisionnaient en bière et en cigarettes, réputé pour ses restaurants copieux, gastronomiques et bon marché. Il y avait surtout La Cloche, un estaminet sardanapalesque où venait mon oncle Henri au moins deux fois par an. J’avais été une fois invité aux agapes semestrielles. Je devais avoir dix ans. Grande émotion de filet américain, de frites et de lèvres trempées dans un verre de Chimay bleue. A la tienne, mon oncle… Je m’en suis éclusé deux, tout seul, au Werkers Kring (au cercle) rue du Beau-Chêne, en mettant une dernière main aux fiches de mon débat du soir. A Mouscron, j’ai retrouvé Carinne, la directrice de la bibliothèque, avec un immense plaisir. On avait fait connaissance à Chambéry en 2004. Voici quelqu’un qui ne se prend pas au sérieux et qui ne fait pourtant que des choses essentielles. Dévorée, très simplement, de littérature et d’amitié. Amélie avait raté la correspondance du car à Lille. Elle est arrivée tard mais a quand même pu encore se faire servir une plantureuse assiettes de crevettes grises à la tomate. Nous, nous étions attablés depuis un bon moment. Avec Yves, le compagnon de Carinne et Mabrouk Rachedi, un auteur chez Lattès en résidence ici. La table avait été réservée… à La Cloche…

Jeudi 13 novembre. 1h10

J’avais tout oublié pour mes cours aujourd’hui. Les travaux à rendre, les feuilles de présence, de notation. Ca ne fait pas très sérieux. Tant pis. Le semestre n’avance pas si mal. Les étudiants parviennent maintenant à faire des revues de presse de bonne qualité. Je les sens plutôt contents, assez mordus par l’actualité. Des retards de trains jusqu’à l’arrivée des « anarchistes », nous avons débattu de l’étonnant traitement de l’information à propos des sabotages sur les caténaires de la SNCF. Je vais pouvoir les envoyer bientôt faire de petits reportages… Je suis repassé en vitesse chez Buchet. Sur mon bureau m’attendaient mes exemplaires de La mort de ma mère. Deux mois et demi avant la sortie en librairie, il faut commencer à penser aux envois. Raphaël m’a gentiment demandé de lui en dédicacer un. Il a été très enthousiaste pour mon texte dont il avait lu les épreuves il y a un mois ou deux. Pour moi, c’est étrange. Je regarde la couverture bizarrement. Je n’ose pas l’ouvrir. Je ne sais pas quoi en penser. Je suis allé prendre un café avec Raphaël. D’une certaine manière, je voulais qu’on change de conversation... Nous avions prévu d'ailleurs qu’il me raconte sa rencontre avec Jean-Pierre Martinet du temps où il avait édité Jérôme au Sagittaire. Des bribes de vies, là, se dessinent peu à peu. Je vais téléphoner à Alfred Eibel pour en connaître encore. Je reste très impressionné, très remué, par ce livre, Jérôme. Si tout va bien j’écris le papier pour Le Monde dans le courant de la semaine prochaine. Des gens du Monde, il y en avait pas mal à la librairie Compagnie où j’ai retrouvé Amélie en début de soirée. C’était pour la sortie des Actes des assises internationales du roman chez Bourgois. Nous sommes restés un moment avant de nous rendre avec Joëlle chez Hélène et Bertrand, boulevard Beaumarchais. Ce sont eux qui auraient dû venir dîner rue Saint-Charles, mais rendre l’appartement plus tôt que prévu a interrompu brutalement nos invitations. Je partage avec Bertrand les années des petites classes au collège Saint-Vincent. Nous avons découvert cela par hasard l’an dernier. Il est mon aîné de peu et nous nous y sommes probablement croisés. Nous avons des souvenirs proches. Des instants, des visages. Surtout, nous en parlons avec le même malaise sourd. Le même sentiment de révolte. Le même écoeurement. J’ai besoin que nous en parlions ensemble vraiment si je veux recommencer le livre que j’avais déjà bien commencé puis jeté quand ma mère est morte…

Mardi 11 novembre. 22h45

Cérémonie du souvenir. Nous allions dire au revoir à Georgette en fin de matinée quand nous avons aperçu le rassemblement près de l’église. Rien n’avait encore commencé. Nous avons salué d’un signe de tête les uns et les autres. Ecouté les discours. Celui du président des anciens combattants, celui du maire aussi qui s’est juste contenté de lire le communiqué officiel. Dommage. Au fur et à mesure que les années passent, il me semble en effet que l’événement devrait occuper davantage d’importance. Toujours cette idée de ne pas oublier. N’était-ce pas cette année la première commémoration de l’Armistice qui se fait sans un survivant français de la Grande guerre? Il y avait parmi l’assistance le petit-fils d’un des soldats dont le nom était inscrit au monument aux morts de Carolles. Il avait fait le trajet de Bretagne pour l’occasion. Ca n’aurait pas été plus mal qu’on en dise quelque chose. Enfin… La cérémonie s’est achevée de manière touchante : Joêle a fait chanter La Marseillaise aux petits de l’école. Quelques couacs et beaucoup de bon cœur. Nous avons enfin pris date pour un déjeuner en décembre avec elle et Philippe. C’est lui qui nous marie en mai. Deux mots avec les élus de l’opposition municipale. Trois avec Mlle Verdé. Comment va votre tante ? – Nous y allions justement... Georgette était à table. Un peu de la poule au pot que nous lui avions amené. Un domino de fromage. Ce n’est quand même pas la grande forme. Je me suis laissé à nouveau entraîner malgré moi dans mes réminiscences et dans mes craintes. La mort de ma mère. Verra-t-elle la sortie du livre en février ? Nous sommes repartis par le train de 18h30. J’ai travaillé à mes fiches pour mes interventions de jeudi à la bibliothèque de Mouscron. Nous nous sommes couchés, vaincus par le désordre de l’appartement, à peine la valise déballée…

lundi 10 novembre 2008

Lundi 10 novembre. 22h30

On nous a livré du bois. Une demie corde pour commencer. Il était temps. Il restait juste six ou sept bûches. C’est du châtaignier d’une coupe de trois ans qui claque sur les braises. On dirait que la chaleur en est plus joyeuse. Différente. Habitée. Nous avons fait des confitures avec les tomates vertes achetées à Granville samedi. Toujours pas passé au potager des Fontenelles. Le vent souffle. Au jardin, j'ai profité d'une accalmie pour rabattre les tiges des dahlias et des phlox. Arranger un peu la plate-bande sur le côté de la maison. J'ai planté les cinquante oignons de narcisse reçus il y a quinze jours. Des totus albus, tout blancs et parfumés. Mais je me suis aperçu très vite qu'il n'y en avait pas assez. Il seraient vraiment trop clairsemés. Du coup, nous en avons recommandé en catastrophe. Les mêmes et aussi des Poéticus actea, avec un discret coeur jaune. Georgette, à qui nous racontions cela, nous a sorti les photos de son jardin de l'Humelière. Les miens étaient magnifiques, regardez... Elle a fini par appeler le médecin. Elle avait refusé qu’on le fasse les jours derniers. Pas la peine. Pas la peine. De toute façon ce sera un remplaçant. Il lui a prescrit des anti-inflammatoires. Je les prendrai plus tard… Elle a mangé de meilleur appétit et nous a poussés doucement vers la porte. Je crois que notre sollicitude commence un peu à lui peser. C’est signe qu’elle renvique. On se verra demain. Aujourd'hui, le Goncourt a été décerné à Atiq Rahimi, le Renaudot à Tierno Monénembo pour Le Roi de Kahel. Si nous étions à Paris, nous serions allés fêter ça au New Morning avec POL. Et passés embrasser Géraldine au Seuil. Christine a téléphoné pour savoir si nous étions en route. Ca va? Oui, ici ça va mieux. Je respire.

Lundi 10 novembre. 1h50

Georgette a téléphoné vers les 9 heures. Venez, s'il vous plaît. Elle nous a demandé de l’aider à préparer son café. J’ai passé une bonne nuit, mais là, maintenant, je suis épuisée. Nous sommes restés avec elle le temps de son petit déjeuner. En fait de café, c'est du Ricorée. Elle a grignoté un morceau de pain mou. Nous avons rassemblé son linge sale. Mis une machine à tourner. Au soir, elle semblait plus reposée. Moins anxieuse. Elle avait eu de la visite. Sa voisine du dessus qui s’inquiétait de ne plus la voir sortir. Mademoiselle Verdé aussi. Ca fait du bien de se sentir entourée… Les mêmes mots que ma mère avait dit si faiblement. J’ai vite chassé l’idée. J’ai passé la soirée à rédiger mon papier sur Le Couteau de Jenůfa de Xavier Hanotte pour Le Monde. 4500 signes pour raconter aussi les méandres d’une œuvre touffue, envahissante. Je me retrouve en connivence mélancolique avec Hanotte, dans cette obsession de la perte, de la disparition. Avec cette quête permanente d’identité qu’il incarne, lui, pour l’essentiel, dans le souvenir perpétué et permanent de Wifred Owen, jeune poète britannique tué à vingt-cinq ans, à Ors, dans le Nord, quelques jours seulement avant l’Armistice de 1918. Je ne souviens que de bribes. Il me manque quelques vers. Quels cierges portera-t-on pour leur dernier voyage ? (…)/ Le front pâle des filles sera leur linceul/ Les fleurs, la tendresse d’âmes patientes/ Et chaque lent crépuscule, un volet qui se ferme. Mon Dieu, comme toutes les histoires se rejoignent.

Samedi 8 Novembre. 23h20

Nous avons fait le marché à Granville sous une pluie fine en bourrasques. Acheté des moules et des coquilles saint-jacques. Un beau saumon. Une poule un peu grasse pour faire du bouillon. Plein de légumes. Carottes, poireaux, salsifis, cèleri. Amélie a cuisiné tout l’après-midi pour Georgette. Elle lui a préparé plein de petits repas. Pour plusieurs jours. C’est qu’elle n'est pas beaucoup mieux. Ca la tire violemment dans les côtes. Elle peine. Elle s’étouffe. Ne vous en faites pas. S’il je me sens vraiment mal je vous appellerai.

Vendredi 7 novembre. 22h00

Chaque semaine je rentre dans un jardin d’après déluge. L’ornière de l’entrée se creuse un peu plus à chaque fois. L’herbe est trempée. Les feuilles tombées font une drôle de tisane dans le tonneau de récupération d’eau. Plein à ras bord. J’attendais le ferronnier qui doit prendre les mesures du cadre qui soutiendra les grandes portes de serre que François nous a données l’an dernier et qu’Emmanuel a réussi, non sans mal, à nous faire parvenir cet l’été. Il a fait deux trois croquis. J’attends le devis. Je n’avais pas appelé Georgette à cause du rendez-vous. Je lui ai téléphoné en fin de journée. Pas réponse. J’ai réessayé à la nuit tombée. Ca continuait de sonner dans le vide. Je suis passé tout de suite, vaguement inquiet. Elle ne va pas bien du tout ma vieille marraine. Elle peut à peine bouger. Son dos est bloqué. Le moindre mouvement la fait gémir. Le médecin est passé hier. Il pense qu’il s’agit d’une vertèbre déplacée. Il a donné des calmants. Ca passera, ça passera, répète-t-elle. Elle m’avait préparé toute une liste de courses. Je t’attendais pour aller coucher, m’a-t-elle dit. Je lui ai installé une planche sous son matelas. Je dormirai mieux sur du dur. Ne t’inquiète pas, ça va aller. Je l’ai quittée plutôt inquiet. Elle est si fragile. Comme prête à casser. Les traits tirés de fatigue et de douleur. Je suis parti chercher Amélie à la gare. Elle sera bien là demain ?, m’avait demandé Georgette. Dîner rapide. Dehors le vent sifflait dans les branches du figuier.

vendredi 7 novembre 2008

Vendredi 7 novembre. 2h15

Jeux d’Epreuves à nouveau cette semaine. Je me fais la rengaine du « L’ai-je bien défendu ? ». Là, c’était Noces de Chêne de Régine Detambel. Je suis accroché à ses livres depuis que j’ai lu La quatrième orange en 1992. En moins de vingt ans (elle a publié pour la première fois chez Julliard en 1990), elle a bâti une œuvre inouïe qui parle du corps, de la peau, des émotions vivaces. Dix-sept ou dix-huit romans, au moins six « textes brefs », cinq essais, deux recueils de poèmes, plus la jeunesse, plus les ouvrages collectifs, les préfaces, les critiques d’art, les articles. Je suis, à chaque fois, ébloui par son écriture. Elle l’envahit de plaies, de rage, de lancinances. De nature brute. Foisonnante. Instinctive. Noces de chêne est un très beau texte sur la vieillesse, sur la permanence du désir. Sur la fidélité en amour. J’ai foncé à la maison juste après l’émission. Je devais avoir Xavier Hanotte au téléphone. Le Monde m’a passé commande d'un « atelier d’écriture » sur son dernier titre, Le couteau de Jenufa. A rendre lundi. Je venais à peine de raccrocher quand Marie a sonné. Nous sommes partis ensemble rejoindre Amélie rue Saint-Charles pour notre dernier dîner là-bas. Nous devons rendre en effet l’appartement plus tôt que prévu. De la famille de Dominique et Frédéric doit y loger. Nous n’aurons pas vraiment habité cet endroit. En fait, nous commencions juste à l’apprivoiser. Nous avons passé cette soirée de clôture avec Agnès et Laurent, Anne-Gaëlle et... Laurent. Nous avons fini le poulet rôti, les frites, la glace à la mangue, celle au tiramisu, le pouilly, le bourgueil, les discussions sur les livres, les livres, les livres. Il était tard. Tout le monde est rentré chez soi. Nous avons rangé. Amélie a passé une serpillère sur le sol. J'ai fait le tour des pièces. Dans la chambre, j'ai raccroché au-dessus du lit le portrait du petit Grégory.

Mercredi 5 novembre. 16h10

J’ai passé une demi-heure au téléphone avec Erik Orsenna. Une courte interview pour le site d’Hachette. J’ai rédigé le papier dans la foulée et je l’ai envoyé. La remise du Médicis avait lieu à 13h00 à l’hôtel Lutétia. J’y suis parti un peu à reculons. La perspective d’avoir à écrire en deux heures un pseudo portrait du lauréat attendu ne m’enchantait pas vraiment. J’étais encore dans le métro quand Amélie a appelé : Je viens de l’apprendre… Le prix va à Blas de Roblès. J’ai été envahi par une belle bouffée de contentement où se mêlaient la satisfaction que ce fantastique bouquin auquel Laure Leroy et Serge Safran ont cru avec tant d’enthousiasme soit à nouveau distingué (il a déjà obtenu le prix Fnac, le prix Giono, il reste sur la dernière liste du Goncourt). Celle aussi que le travail qu’ils accomplissent chez Zulma soit ainsi reconnu et salué. Celle enfin de n’avoir pas à faire mon pensum sur le livre de l’auteur « concurrent ». En plus, comme Isabelle avait déjà rencontré Blas de Roblès, c’est elle allait se charger de l’article. J’allais avoir ainsi un après-midi plutôt tranquille. Dans les salons du Lutétia, peu savaient déjà. J’ai passé discrètement un coup de fil à Christine, au Monde, pour l’avertir et savouré ensuite un peu sournoisement le privilège d’être de ceux qui avaient la primeur du résultat. Rien que quelques minutes avant, mais avant les autres… Anne Wiazemski a dévoilé le palmarès. Là où les tigres sont chez eux n’est passé qu’au quatrième tour et grâce à sa double voix de présidente. Le Médicis récompense aussi Cécile Guilbert pour son essai Warhol spirit. Je suis allé l’embrasser. A la sortie, Géraldine et Marie Lagouanelle m’ont gentiment agrégé à leur déjeuner. Nous sommes allés chez Enzo, un italien de la rue du Dragon. Les pâtes y étaient relevées, piquantes. Mais j’en voulais davantage. Il fallait que ça arrache. J’ai pensé à cette phrase de Ferré : Le piment, le vrai, c’est celui qu’on rajoute. Et c’est ce que j’ai fait.

jeudi 6 novembre 2008

Mardi 4 novembre. 23h20

J'ai déjeuné avec Marie-Françoise chez Moissonnier. Elle revient de Saint-Nazaire. Intarissable sur le port, les plages. Elle éprouve une passion littorale de la mer du Nord à l'Atlantique. Je me souviens encore de son retour de Gdansk, enfin de Dantzig, la ville de Günter Grass. Elle racontait ses balades sur la grève, le long de la Baltique, à chercher des galets d'ambre rejetés par la mer. Elle portait justement aujourd'hui un collier d'ambre bizarrement tressé qu'elle avait acheté là-bas, il me semble. Nous avons parlé du livre de Sylvie Weil qui va sortir chez Buchet, évocation intime d'André son père et de Simone, sa tante. J'avais noté en garde d'un carnet cette phrase tranchante extraite d'une de ses dernières correspondances : Je suis prête à mourir pour l'Eglise plutôt qu'à y entrer. Car mourir ne comporte aucun mensonge... Deux tables derrière nous, Pascal Quignard était installé, en famille. Je n'ai pas voulu le déranger, mais j'ai éprouvé de la satisfaction à le croiser ici. J'aime décidément beaucoup ce restaurant. Il me plaît, il me rassure, il m'enveloppe de confort lointain. Nous sommes rentrés ensemble rue des Canettes. J'ai passé l'après-midi à imaginer des montages financiers, titre à titre, pour « Domaine Public ». Ah, si tout ça pouvait fonctionner... Amélie est venue me chercher pour aller à la remise du prix du meilleur roman étranger dans un hôtel du boulevard Malesherbes. C'est Melnitz de Charles Lewinsky chez Grasset qui l'a obtenu. A peine vu Nathalie qui faisait partie du jury. Entr'aperçu Diane qui doit penser que je lui fais la tête tant je réponds pas à ses messages. Salué les uns, les autres. Bu un peu de champagne, ouvert des parenthèses. Nous avons marché jusqu'au métro Concorde. Dans la rue Royale, toutes les boutiques de luxe étaient déjà décorées pour Noël. C'était indécent jusqu'au malaise.

mardi 4 novembre 2008

Lundi 3 novembre. 22h45

Le train de 6h04. Amélie s'est emmitouflée dans son manteau et s'est mis sur les yeux un des ces masques de coton qu'on distribue pour la nuit sur les vols long courrier. Pendant ma solitude du trajet, j'ai relu les livres sélectionnés pour le Médicis que Catherine m'avait demandé de regarder pour Le Pèlerin. Les jeux sont faits paraît-il. Je vais donc avoir un papier à écrire mercredi.

J'avais rendez-vous en début d'après-midi dans le Marais pour des photos avec John Foley. C'est lui qui avait fait mes premiers portraits à l'agence Opale pour La Ballade de Lola. A l'époque, il était venu à la maison dans le XIVe. Je dois avoir encore un tirage où je suis à mon bureau, Kitty, la chatte noire, sur mes genoux. Elle est partie dans la nuit des chats, Kitty. Deux semaines après la mort de ma mère. Je l'ai enterrée sous le saule marsault. J'ai mis à l'emplacement un chat de tôle aux yeux en callots. Un de ceux qu'on plantait autrefois dans les potagers pour effrayer les oiseaux. Ca s'appelait, je crois, « le chat Taigne ». John m'a baladé dans tout le quartier. Halte devant une porte rouge, une devanture jaune. Un porche vert avec des têtes de lions. On va essayer ça. Et puis là aussi. Regarde-moi. Fais pas la gueule. Oui, les yeux un peu à droite. Garde cette expression. Pardon, pardon, ça doit se voir que je n'aime pas ça. Ou plutôt que je ne sais pas aimer ça. Je suis mal à l'aise et il le sait bien John. La différence, c'est qu'avec lui j'ai confiance. Après la séance, nous nous sommes installés dans un bar à vins à l'angle de la rue Charlot. Parler des projets et du temps qui passe. Nous avons le même âge tous les deux et nous étions contents de nous revoir. J'ai rejoint Amélie assez tard au Mercure rue de Condé pour fêter le Femina-essai de Denis Podalydès. Des retrouvailles, des embrassades. Nous y avons traîné un moment avant d'aller dîner au J'go avec Pascale. Et puis, vite filer se coucher. Trop tard pour travailler. Bien trop fatigués.

lundi 3 novembre 2008

Dimanche 2 novembre. 23h10

Nous n’avons pas eu le courage de pousser jusqu’au Fontenelles. Nous savons trop ce qui nous y attend : une prairie trempée où les bottes s’enfoncent. Cette semaine, je ne serai toujours pas parvenu à travailler au jardin. Je dois pourtant tailler les rosiers, élaguer le figuier et le frêne, diviser les phlox, rabattre les pivoines, et surtout planter les oignons des narcisses blancs pour nos plates-bandes de mai. Avant le déjeuner, Noëlle est passée prendre un verre avec Pierre. Je l’ai sentie très lasse. Plus que deux ans, je compte les jours, a-t-elle laissé échapper. Dans deux ans, elle pourra prendre sa retraite. Peut-être s’installer ici. A Paris, elle est cernée de soucis. Son métier d’institutrice a fini par lui peser. Elle a juste besoin de penser un peu à elle. On s’est dit que nous nous reverrions bientôt. Pourquoi pas à un des derniers dîners de la rue Saint-Charles ? Dominique et Fréderic rentrent le 20 des Etats-Unis…

Samedi 1er novembre. 22h20

La pluie est revenue. Un vrai temps de Toussaint. Nous avons tenté une petite balade qui s’est résolue par un tour du bourg. Vite rentrer. Nous avons passé l’après-midi au chaud. Amélie a lu ses épreuves. J’ai sorti des cartons les vieilles photographies. Je les ai installées dans des cadres au murs de l’entrée. Les premiers portraits datent de la fin du XIXe. Il y a là ceux dont je connais juste les noms. La tante Blanche, l’oncle Emile et la tante Alphonsine, leur fille Fernande… Il y a aussi ceux dont je ne sais rien du tout. Comme la sœur de mon grand-père François, taille serrée et robe à panier, accoudée, la pose rêveuse à une drôle de balustrade. Comme cet aïeul aussi. L’arrière-grand-père de Papa. Je n’ai pas la passion généalogique. J’aime juste qu’ils soient là. En décembre, nous rapporterons de chez les parents d’Amélie à Grasse d’autres clichés anciens. Afin de mêler nos histoires de famille. Fabien est venu dîner. J’avais acheté un gros bar de ligne.

Vendredi 31 octobre. 23h00

J’ai dormi dans le train. Je me suis réveillé au dernier tiers du voyage. A Vire, le ciel était tout bleu. Lavé. J’ai appelé Georgette de la gare de Granville. Cette semaine, pris par tout et n’importe quoi, nous ne lui avons pas téléphoné. Quand nous y pensions, c’était encore trop tôt ou déjà trop tard. Elle n’a rien dit, mais j’ai compris qu’elle s’était sentie un peu délaissée. Est-ce pour cela qu’elle qui n’a jamais besoin de rien voulait que je lui achète un tas de choses ? De l’huile d’olive, du vin rosé, du beurre, des asperges vertes en bocal, de l’eau d’Evian, des raviolis en boîte, une brioche… Je n’avais pas de stylo pour noter. Et elle qui insistait : N’oublie rien ! Sur le chemin du supermarché, je me répétais la liste de courses en litanie. Sous le soleil, j’ai trouvé le jardin luisant d’eau. La maison glaciale. J’ai fait du feu. Allumé en grand les radiateurs. Il faisait à peine tiède pour l’arrivée d’Amélie.

Vendredi 31 octobre. 3h00

Jeux d’Epreuves avec Dernières lueurs de Christina Mirjol au Mercure. J’ai défendu ce livre du plus que j’ai pu. Sans rencontrer d’ailleurs de vrais contradicteurs. Tout au plus ai-je perçu un rien d’indifférence que j’ai du mal à comprendre. Car, moi, je sais pourquoi ce texte me touche. Il accroche ma plainte. Il va à l’unisson. Dernières lueurs parle de la journée d’une vieille dame dont on sait qu’elle va mourir. Entre la visite au tout petit matin du médecin « urgentiste » et la venue du SAMU en fin d’après-midi. Entre un voyage au Pôle Nord dont elle a rêvé et son dernier voyage. C’est écrit en échos de voix, en suspension triste. Quand parviendrai-je à recoudre mon déchirement orphelin ? A la sortie du studio, j’ai bu un verre au bar des Ondes avec Nathalie et Baptiste. Nathalie avait présenté la correspondance entre Georges Perros et Gérard, puis Anne Philippe. J’éprouve de la résistance au genre. J’ai toujours un sentiment de malaise dans l’effraction de lire le courrier qui ne m’est pas adressé. Pourtant je dois reconnaître que je me suis fait happer par ces lettres. Comme souvent, l’air de ne pas y toucher, Nathalie offre à l’émission des découvertes littéraires infiniment sensibles.

Nous avions un nouveau dîner rue Saint-Charles. Géraldine et Vincent. Dany aussi que Marie n’avait pas vu depuis vraiment longtemps. Il me semble qu’elle avait une dizaine d’années quand elle l’avait rencontrée la première fois au Salon du livre. Elles s’étaient bien plu, je crois. Quand Marie a dû présenter le latin en session de rattrapage du bac, Dany nous a fourni en urgence une cargaison de textes de Cicéron en édition bilingue. Marie a passé l’épreuve haut la main… Connivence et reconnaissance. J’ai raccompagné Dany à la station de taxi vers minuit. Géraldine et Vincent sont restés. La soirée s’est étirée fort tard. En fait, personne n’avait vraiment envie de se quitter.

vendredi 31 octobre 2008

Mercredi 29 octobre. 22h30

J’ai envoyé à nouveau un dossier pour le prix Hennessy. L’an dernier, j’avais été finaliste. J’aimerais bien avoir ce prix... Je dois dire qu’au delà de la satisfaction narcissique d’être désigné comme le meilleur journaliste littéraire (excusez du peu), le montant du chèque ne me laisse vraiment pas indifférent. Et comme je pressens 2009 plutôt précaire… Je suis passé chez Buchet en revenant de la fac. Le temps de faire deux trois envois et de prendre rendez-vous avec Paul pour « le plan libraires » du livre. J’ai rejoint Amélie au Sauvignon. Nous y avons retrouvé Jaunay qui voulait fêter avec nous la sortie de son livre Nostoc, 13 h 58 chez L’Harmattan. Nous nous sommes enrhumés tous les trois doucement en terrasse. Sans vraiment voir le temps passer.

Mercredi 29 octobre 2008. 1h10

Encore un débat. Cette fois-ci c’était « autour de la nouvelle » au Centre Wallonie-Bruxelles. Il y avait Michel Lambert, Georges-Olivier Châteaureynaud. Gabrielle Rolin. Et surtout Roger Grenier. « Autour »… C’est curieux cet enveloppement sémantique, comme si on ne voulait pas entrer dans le sujet. Comme si on voulait se garder une distance, comme si on ne s’en tenait qu’aux marges, on ne s’intéressait qu’au décor. Ca m’avait déjà frappé avec cet autre débat du début du mois en Poitou-Charentes, « autour de l’œuvre de Robert Marteau ». De la même manière qu’ « espace » a tout colonisé, la locution a dû se glisser pratique, fourre-tout et insidieuse. La discussion a abordé bien sûr la place de la nouvelle dans le paysage littéraire contemporain. Désintérêt pour la nouvelle ou au contraire regain ? Les points de vue coexistaient étrangement. Indissociables et étonnamment complémentaires. C’est difficile de parler littérature en ne s’attachant qu’aux genres. Chloé Réjon a lu les extraits que j’avais choisis dans les textes des quatre auteurs présents. Notamment Rappels à l’ordre de Gabrielle Rolin, magnifique divagation sur la perte des objets, des souvenirs et des gens. J’ai récupéré Amélie dans le public. Nous avons bavardé un moment avec Roger Grenier pendant le pot qui suivait la rencontre. Je suis vraiment admiratif de son parcours. Journaliste à Combat, au France Soir de Lazareff, homme de radio, conseiller littéraire chez Gallimard et auteur fécond. Nous avons parlé de Marie de Régnier, de Pascal Pia. Le directeur du centre et Pierre Vanderstappen nous tous ont emmené dîner au Taxi jaune, un restaurant de la rue Chapon. En entrée, il y avait du carpaccio de tête de veau. Belle idée en vérité…

- page 123 de 135 -