Notre nuit à nous n’a pas été très longue non plus. Etouffée de volets hermétiquement clos, de figures de musée et d’étrangeté sensible. Nous avons fait chacun des rêves agités. Petit déjeuner avec Marina qui termine son deuxième séjour ici. Cela doit être vraiment une curieuse expérience que de partager ce « tous les jours Carême » de Jeannine pendant des semaines. Se lever avec lui, vivre chaque instant dans sa présence et son ombre. Veiller avec lui. se coucher avec lui. Parler de lui, le faire parler, en récitant sans cesse ses poèmes. Raconter ce qu'il a fait et ceux qu'ils l'ont connu. Les bons amis, les admirateurs et les envieux aussi. Chaque instant est envahi. C'est beau, tendre et terrible. Dans la maison, dans le minuscule jardin, j'avais ses vers en ritournelle. Impossible de les chasser... Ma main tenait la main du temps,/ Moi aussi, j'étais éternel./Dès que j'ouvrais les bras au vent,/ Mes yeux se remplissaient de ciel.

Nous avons pris le métro jusqu'au centre. Toujours cette même grisaille humide. Nous nous sommes réfugiés au palais des Beaux-Arts où nous avons passé une bonne partie de la journée. Longue déambulation à travers l'exposition CoBrA et les oeuvres de Dotremont, Asger Jorn, Karel Appel. Mais je voulais également revoir les collections XIXe et montrer à Amélie les toiles de Khnopff et surtout celle qui représente Marguerite, sa soeur, debout dans l'encadrement d'une porte, un bras accrochant l'autre, le regard à côté, toute de blanc vêtue. Les portraits d'Evenepoel, les paysages de Vogels et de Boulenger. Ensor... Nous sommes repartis tout flottants d'impalpable vertige. Au soir nous étions invités à Ixelles. Un dîner chez Fanny la soeur de Martin qui était venu à Bruxelles avec Catherine et Simon. Simon, nous ne l'avions pas vu depuis le printemps dernier. Il a grandi, bien sûr, et attrappé une bonne bouille de petit garçon. Il y avait la mère de Martin, Pierre son père dont nous avions fait la connaissance en septembre au cocktail de rentrée de la délégation générale Wallonie-Bruxelles à Paris. Nicolas aussi, sa femme Marie et leur fils Aurélien qui du haut de ses neuf mois lançait à Amélie des yeux enjoleurs. Le repas a été gai. Familial. Fraternel en un mot. Martin nous a raccompagnés bien tard à Anderlecht. Nous avions la clé. Jeannine nous attendait discrètement. J'avais peur de ne pas vous voir avant de partir pour Tournai. Nous avons mis le réveil pour nous lever avec elle...