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jeudi 24 mars 2011

Vendredi 11 mars 2011. 23h40.

Changement d’horaire à Jeux d’Epreuves. L’enregistrement avait lieu en fin de matinée. Je présentais Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, de Jonas Jonasson aux Presses de la Cité. L’histoire d’un centenaire qui s’enfuit de la maison de retraite, terrifié par les festivités qu’on lui prépare. Après avoir fauché une valise pleine de billets de banque, le bonhomme, flanqué d’une bande de Pieds-Nickelés de rencontre, s’embarque pour une odyssée foutraque à travers la Suède. Cela faisait bien longtemps qu’une lecture ne m’avait pas fait rire autant. J’ai regretté qu’Alexis Liebaert ne soit pas là, lui qui me reproche toujours de ne parler que de livres « sinistres ». Dans le studio, il y avait Nathalie Crom, Cécile Guilbert, Laurent Nunez. Personne n’a boudé son plaisir. J’ai fini le papier sur Hanne Ørstavik. Repris mes notes sur Le sixième passager de Theodor Kallifatides, un polar suédois un peu désordonné. Claire et Emmanuel, Marion et Jérôme, sont venus dîner à la maison. Grâce à la rallonge que nous avait fabriqué Emmanuel, tout le monde a tenu autour de la table. J’avais dévalisé le traiteur chinois. Avec de la menthe, du coriandre et des piments frais, ce n’était pas si mauvais.

Jeudi 10 mars 2011. 23h15.

J’ai un peu de mal avec ce cours à 8h00 du matin. J’arrive juste, à peine sorti de la douche, les cheveux encore humides. J’ai l’impression que les étudiants ne sont pas beaucoup plus frais. Là dessus, je dois me tromper… Je continue les révisions avec eux. La brève, le filet, la mouture. Je leur serine les questions du message essentiel. Qui ? Quand ? Quoi ? Où ? Comment ? Pourquoi ?. Pour l’instant, ils supportent. J’ai rédigé l’interview de Khemiri. Commencé mon papier sur Hanne Ørstavik. Claire et Emmanuel sont arrivés rue Danville en fin d’après-midi. Ils viennent passer quelques jours à Paris pour aider Marion et Jérôme à aménager leur nouvel appartement. Plan de travail et rangements dans la cuisine, meubles à monter… Ils sont toujours disponibles. Emmanuel avait rapporté le gigantesque coffret (deux mètres de long…) qu’il m’avait confectionné pour la mue de serpent que j’avais ramené d’Ixtapan au printemps dernier. J’ai cherché un bon moment de quelle espèce il pouvait s’agir. Je penche pour une couleuvre du type Lampropeltis triangulum, mais quelle sous-espèce ? Probablement une femelle, vu sa taille. Inoffensif, mais très impressionnant… J’ai servi à Claire et Emmanuel un verre de mauvais vin blanc (c’est tout ce qui restait). Amélie nous a rejoints. Nous nous sommes tous retrouvés dîner chez Marion et Jérôme, rue Marmontel. Poulet aux morilles à la crème, moulin-à-vent. C’était l’anniversaire de Claire.

Mercredi 9 mars 2011. 22h00.

J’ai relu une dernière fois les épreuves de La fausse porte. J’avais rendez-vous avec Capucine, chez Stock, pour un nouveau « nettoyage » du texte après lecture par le correcteur. C’est étonnant comme un regard différent amène à préciser sa pensée et ses phrases. A faire des choix. Nous avons déjeuné dans une petite brasserie bruyante à l’angle de la rue d’Assas. Bavardé un peu en surface. J’ai beau lui avoir écrit un petit mot, je n’ai toujours pas réussi vraiment à lui dire combien j’ai aimé J’attends, son roman sorti en février. Un texte d’une sensibilité rare sur les espoirs et les illusions qu’on porte et qu’on ne se résoud pas à abandonner. Parce qu’on en a été bercés. Je n’ai pas vu si elle a eu des papiers. J’ai renoncé à lui en parler. Pour l’instant. Je me sentais étrangement serein. J’ai commencé à rentrer à la maison à pied. Je ne me suis décidé à prendre le bus qu’à cause de l’heure. Je devais téléphoner en Suède à Jonas Hassen Khemiri. La conversation a duré une bonne heure, en français. Il est né à Stockholm à la fin des années 1970 d’un père tunisien et d’une mère suédoise. En France, on ne connaît encore que son deuxième roman, Montecore, un tigre unique et sa pièce de théâtre Invasion ! mise en scène l’an dernier par Michel Didym. Tout tourne autour du nattage des langues et des discours, des chausse-trappes des mots. Je vais devoir faire le tri dans ma liasse de notes. Retrouvé Amélie chez Péret. Alors, ta journée ?

mercredi 23 mars 2011

Mardi 8 mars 2011. 22h30.

Je devais voir Laurence. Nous devions déjeuner ensemble. Et puis, nous nous sommes retrouvés l’un et l’autre embarqués dans trop de choses à faire. Elle devait intervenir dans un lycée tôt dans l’après-midi. Moi, j’avais mes papiers à avancer, le cours à Censier à préparer pour l’après-midi aussi. Nous avons annulé. Pas contents de nous. Je suis encore un peu dans les révisions avec les étudiants. Cent fois sur le métier… J’ai hâte de les faire écrire « en grand ». Un autre reportage ? Il faut qu’on en discute. Nous avions invité Nathacha et Bernard à dîner. Ils venaient avec Neela. Je suis passé en rentrant par Les cousins d’Alice, le magasin de jouets de la rue Daguerre. Attrapé en vitesse une drôle de souris en peluche, un imagier. Amélie avait prévu des soufflés, de la salade croquante. Des fraises à la crème. Jolie soirée, un peu courte. Nous avions trop de choses à nous dire et envie de les dire toutes en même temps. Envie aussi d’écouter Neela, cette petite personne de deux ans et demi, aux grands yeux curieux, pleine de vie et d’intelligence.

Lundi 7 mars 2011. 22h10.

Première réunion pour le prix Marcel Pagnol. Déjeuner dans le restaurant d’affaires de la banque qui en est le partenaire. Pas grand chose dans les assiettes et pas grand chose à boire. Le pire étant que nous n’avons pour ainsi dire pas parlé livres. Je sais bien qu’il va y avoir d’autres rencontres, qu’on va discuter entre nous au téléphone, mais, quand même, je suis ressorti assez mécontent. Ma déception est excessive sans doute. Elle tient essentiellement à l’importance que j’attache à faire partie du jury de ce prix. Pagnol a beaucoup compté dans mon désir d’écrire. Je me suis mis dans les papiers « littérature nordique » du Monde. Préparé l’interview (trois ou quatre questions à tiroirs…) de Jonas Hassen Khemiri. Amélie est rentrée un peu tard. Nous sommes allés dîner chez Péret.

Dimanche 6 mars 2011. 23h55.

Amélie est partie faire des photos des magnolias, elle revenue avec Agathe, qui voulait voir le bouc. Le bouc nain du voisin... Il y a quinze jours maintenant que Fabien a acheté cette bête pour « nettoyer » son terrain. Et c’est vrai que ça boulotte tout un bouc : les taillis, les ronces, les hautes herbes. Mais, entre deux mastications, ce pauvre animal s’ennuie, seul. Il béguète à fendre l’âme. Nous sommes allés lui donner des quignons de pain dur, des rondelles de carottes. Mme Bassard est passée aussi plusieurs fois désentortiller sa chaîne qu’il enroule autour des arbres. Et puis, il s’est sauvé. Deux fois au moins. Les cantonniers l’ont ramené. Il lui faut de la compagnie, m’a expliqué l’un d’eux. Nous avons fait passer le message à Fabien, mais il ne semble pas très désireux de se lancer dans l’élevage. Croisé Norbert et Annick dans le village. Ils sont venus prendre un verre avant le déjeuner. J’ai pu enfin donner à Annick Montagne vagabonde, Itinérance au désert, L’or des rues et Cahier du bord de l’eau, les quatres textes de Pierre Gilloire que je lui avais promis. Elle s’était déjà procuré Petite collection de paysages. Je l’ai déjà lu deux fois. J’étais sûr que ça lui plairait. Après-midi de dimanche : nous l’avons machonnée en attendant le moment du départ. Jean-Pascal venait nous chercher pour nous emmener à la gare. Nous ne revenons pas avant plusieurs semaines et il est impossible de laisser la voiture à Granville à cause du carnaval. Fichu carnaval. Dès Saint-Pair, la police déviait la circulation. Nous nous sommes retrouvés embarqués au loin dans d’interminables files de véhicules et nous avons raté le train. Heureusement, il en partait un autre une heure plus tard. Jean-Pascal nous a avancés jusqu’à Foligny. Et, pour le coup, nous étions largement à l'heure.

Samedi 5 mars 2011. 23H20.

J’ai rédigé un petit papier pour Le Monde sur le roman argentin de Carlos Gamerro, Tout ou presque sur Ezcurra. Grand beau temps. Nous sommes descendus jusqu’à la plage. Revenus par chez Georgette pour le rituel hebdomadaire des huîtres et du vin blanc. Nous avons parlé un peu de mes grands parents, de la famille disparue de ces temps-là. Je me suis dit qu’il faudrait que je questionne ma tante davantage. Il se trouve une foule de gens tout au bord de l’oubli. Mais je n’ose pas demander. J’ai peur de lui forcer la main, de l’ennuyer, de la fatiguer. De l’obliger à revenir sur des années qu’elle a peut-être envie de laisser dormir. J’ai avancé dans mes lectures « nordiques », en préparation du numéro spécial du journal pour le Salon du livre. Retenu surtout Amour de Hanne Ørstavik, le court roman, d’une mère et de son fils qui va avoir neuf ans. Hanne Ørstavik raconte en séquences brèves comment, dans une petite ville du nord de la Norvège, un des soirs de la longue nuit d’hiver, Vibeke et Jon se retrouvent et comment ils se perdent, sans bien le faire exprès. Ils ont dîné ensemble, somnolé peut-être, sans s’en apercevoir, chacun de leur côté. Il est toujours tard pendant cette saison. Jon est parti vendre, au porte-à-porte, des billets de tombola pour son club de sport. À peine rentré, il est ressorti en catimini, persuadé qu’il doit laisser sa mère seule pour qu’elle prépare le gâteau de son anniversaire. Vibeke l’a pensé endormi dans sa chambre. Elle est allée rendre des livres à la bibliothèque. Elle a flané à la fête foraine, fait quelques rencontres. L’anniversaire, elle a dû l’oublier. Au fur et à mesure de leurs chemins qui s’égarent dans un crépuscule sans fin, germe, sans rien d’évident, de palpable, dans les situations, les hasards, une inquiétude sourde. C’est vraiment un roman qui étreint. Nous étions invités à dîner chez Martine et Jean-Pascal, route de la Mazurie. Quelques bouteilles de bourgogne, une côte de bœuf grillée dans la cheminée. J’avais acheté chez Charles Sacrées sorcières de Roald Dahl pour Agathe. Coup de chance, elle ne l’avait pas déjà lu : à bientôt dix ans, elle dévore tout ce qui lui passe par les mains. Jean-Pascal m’a montré l’édition de 1790 des Oeuvres de l’abbé Mably qu’il venait d’acheter chez Peigne. Nous avons parlé livres anciens et botanique. En rentrant, à la lueur des lampes de poche, il nous a montré ses magnolias en fleurs. Des centaines de corolles, mauves, roses, blanches. J’ai encore oublié comment s’appelent toutes ces variétés. Tout ce que je sais, c’est que son jardin est planté d’essences rarissimes dont il égrenne doucement les noms latins.

Samedi 5 mars 2011. 1h20.

Le marché à Jullouville. J’ai acheté une cagette de plants de petites pensées aux pétales jaunes et aux sépales violets (viola Jackanapes) pour le grand pot de grès sur la terrasse. Nous avons porté les courses à Georgette. Tout va bien. Un peu lasse, toujours. Et vous ? Des nouvelles de mon oncle Georges qui se remet de sa fracture. De mon parrain René. Travaillé au jardin. Vidé le tonneau de récupération des pluies où infusait tout notre automne de feuilles mortes. J’ai arrosé les rosiers avec cette soupe pas très ragoûtante et sauvé, caché dans le fond, un poisson rouge à moitié asphyxié. Dans son bocal d’eau claire placé sur la commode, il a recommencé doucement à bouger. Comment allons-nous l’appeler ? - Pourquoi pas Moïse. Quia de aqua tuli eum… Je voulais passer l’intérieur du tonneau au nettoyeur haute pression, mais l’engin (tout neuf, jamais servi) a refusé de fonctionner. C’est le troisième qui nous reste ainsi dans les mains. A chaque fois, le magasin les échange. Il y a de quoi désespérer. Monique et Jean-Marie sont venus dîner à la maison. A peine sortie de son malaise de l’autre jour dans le rue, Monique a fait une chute chez elle et s’est cassé le bras. Vilaine série. Nous avons fait un sort au carré d’agneau.

Jeudi 3 mars 2011. 23h45.

J’ai promis aux étudiants de leur faire un dossier de presse sur l’affaire Bernard Mazières, ce journaliste d’une soixantaine d’années retrouvé, autour de Noël dernier, le crâne fracassé à coups de marteau et poignardé au cou, dans son appartement de la rue Bonaparte. Très vite, les enquêteurs s’étaient aperçus que son fils de 17 ans avait commandité le meurtre. Nous avons confronté nos souvenirs de cette sale histoire. Quels sont les détails que nous retenons ? Pourquoi ? Comment racontons-nous les faits ? J’ai terminé le cours un peu en avance. J’avais rendez-vous chez Stock pour la réunion des représentants. Arrivé juste à l’heure. J’ai parlé de mon livre avec le plus de conviction et de simplicité possibles. Pour qu’ils aient envie de le regarder. D’en parler aux libraires. Je n’avais rien préparé. J’ai essayé d’insister sur cette phrase du début du texte Il n’y a pas d’âge pour avoir des souvenirs, en expliquant que, justement, des souvenirs de cette période, je n’en avais pas vraiment. Je n’ai gardé que des impressions qu’il m’a fallu remodeler et des noms que j’ai utilisés le plus possible aux « bons » endroits, aux « bons » moments. Je les ai senti attentifs. On verra. J’ai écouté Didier Decoin et Nina Bouraoui présenter leurs romans. Nous nous sommes tous retrouvés pour déjeuner sur la terrasse de l’immeuble. Il faisait frais, mais grand soleil. Nous avons bavardé. J’ai appris que Thierry, un des représentants avait passé une année, à l’adolescence, au collège Saint-Vincent. Nous nous y sommes croisés, mais pas connus. Robert, un autre, se souvenait bien de Mme Fiévet, la libraire de Senlis, à qui je dois, sans doute, une grande part de ma vocation d’écriture. Et puis, j’étais assis à table à côté de la représentante qui s’occupait de la Belgique et, tout naturellement, j’en suis vite venu à lui parler de Bruxelles, et de Liège où s’étaient rencontrés mon arrière-grand-père et mon arrière-grand-mère, et de Mouscron, et de tout mon petit folklore belge. Au fil de la conversation, je me suis aperçu qu’elle était la sœur d’Astrid, mon amie des éditions Racine. Voilà. J’ai vu, dans ce tissu d’un rien de coïncidences croisées, comme un bon présage. Amélie avait pu quitter son travail plus tôt. Nous nous sommes retrouvés gare Montparnasse. Arrivés à la maison juste avant la nuit.

Mercredi 2 mars 2011. 21h10.

J’ai écouté en boucle toute la matinée la Ballade en sol mineur de Chopin. Cela faisait un moment. Le disque faisait partie des rares qui se trouvaient à la maison lorsque j’étais enfant. Il s’appellait Quatre ballades et était interprété par une pianiste dont je n'ai jamais su le nom. On voyait sa photo noir et blanc, en petit, au dos de la pochette. Je me souviens surtout que le rond central du 33t, bleu foncé, portait une marque genre Big Ben ou Parliament. Cette musique m’est resté étrangement présente. Je ne la sais pas par cœur. Mais je la reconnais tout de suite, aux premières notes, et elle s’installe. J’ai corrigé les travaux des étudiants pour demain. Lu. Acheté pour Amélie, aux marchands à la sauvette de la rue Daguerre, le premier bouquet de jonquilles de l’année.

dimanche 6 mars 2011

Mardi 1er mars 2011. 23h15.

Déjeuner avec Marie-Pierre chez Charles Victor, un restaurant de la rue Brézin, à deux pas de la maison. Elle revenait de la Foire internationale du livre de Jérusalem. Je l’écoutais parler de la littérature israëlienne. Je dois avouer que je n’y connais rien. J’ai tout juste lu Aharon Appelfeld, à cause de Valérie Zenatti qui le traduit, et aussi un peu Alon Hilu, parce que j’avais présenté son roman La mort du moine lors d’un débat en 2008. Amoz Oz, enfin, quand même. D’autres ? J’ai beau chercher, je ne sais plus. Je me suis rappellé de L’Élephant et le problème juif, ce texte de la fin des années 1980 écrit par l’écrivain juif américain Hugh Nissenson, ses journaux, en fait. Du procès Eichmann en 1961, aux massacres de Sabra et Chatilah, jusqu’au procès Barbie. Le titre vient de cette blague un peu douloureuse : C’est une classe de zoologie qui doit faire un devoir sur l’éléphant. L’Anglais écrit « La chasse à l’Éléphant », le Français : « La vie amoureuse de l’Éléphant », et le juif : « L’Élephant et le problème juif ». Je suis passé chercher mes affaires pour la fac. Deux heures avec les étudiants. J’avais presque oublié leurs prénoms. Maintenant, je les retrouve. En sortant, j’ai attrapé un taxi dans la rue Monge. Passé prendre Amélie du côté du Châtelet. Nous étions invités à dîner chez Laurence. Venez tôt pour passer un moment avec les filles. Avant que nous nous mettions à table et qu’elles aillent se coucher, j’ai exposé mon projet à Gaïa, dix ans, et Josepha, six ans. Il s’agit d’Alice au Pays des merveilles. Bien avant de se lire Alice se raconte. Je veux la raconter à nouveau, comme la première fois, il y a bien longtemps, sur les bords de l’Isis, une journée d’été. L’idée est d’avancer dans l’histoire et, à chaque mot, à chaque situation où l’on bute, s’arrêter, commenter, expliquer, comparer. Simplement. Très simplement. Ce n’est pas fastidieux, c’est tout le contraire. Je suis persuadé que faire des pauses dans cette incroyable aventure permet d’aider les enfants à y cheminer. A y tracer leur propre itinéraire. Celui qui leur ressemble. Pas question pour autant de « moderniser le texte », de le mettre au goût du jour. Il suffit d’apporter, au fur et à mesure, des références, des images, qui aident à sa compréhension. Des clés, pour ainsi dire. Les exemples sont infinis. Qu’évoque la mare de larmes ? Qui est cette terrible reine de cœur ? Toutes ces digressions prennent part au récit. Ce n’est pas un adulte seul qui peut écrire ce livre en allers retours. Lewis Carroll avait dû adapter sa narration au fur et à mesure des demandes et des interrogations de ses auditrices. Et après ? Et alors ? Et c’est quoi ? Et pourquoi ? Il faut retrouver cet échange, ce partage. J’ai demandé à Gaïa et à Josepha de m’aider. Parce que leur envie d'entendre et de s'approprier l'histoire rejoint celle que j'ai de leur raconter. Nous avons lu les dernières phrases du livre, après que la grande sœur a entendu Alice lui raconter son drôle de rêve. Elle était certaine que, dans les années à venir, Alice garderait son cœur d’enfant, si aimant et si simple ; elle rassemblerait autour d’elle d’autres petits enfants, ses enfants à elle, et ce serait leurs yeux à eux qui deviendraient brillants et avides en écoutant mainte histoire extraordinaire, peut-être même cet ancien rêve du Pays des merveilles. Il y a très longtemps que je porte ce projet. Grâce à elles, il peut se réaliser maintenant.

samedi 5 mars 2011

Lundi 28 février 2011. 22h00.

Préparé les cours de demain. Questionnaire d’actualité et faits divers. Je crois que vais leur faire rédiger une brève sur le procès de Benoît Piet. Cet homme de 42 ans répond, depuis vendredi, à la cour d’assises d’Ille et Vilaine, du meurtre de son épouse Adeline dans la nuit du 1er au 2 juillet 2006. Il est également accusé d’avoir ensuite enterré le cadavre dans son jardin puis d’en avoir brûlé les restes deux ans plus tard sur le barbecue familial. J’ai déjeuné avec Brigitte à l’Oenosteria, un bar à vins italien de la rue Grégoire-de-Tours. Charcuteries toscanes et Vernaccia di San Gimignano. Nous ne nous étions pas vus depuis octobre. Et bien au-delà des livres et des programmes, nous avons bavardé longtemps. Très longtemps. J’ai fait du courrier au Rostand avant mon rendez-vous avec Christine. Là aussi, c’était des retrouvailles. Où veux-tu aller ? J’ai choisi de revenir à l’Oenosteria. Nous n’avons pas beaucoup parlé du Monde. Plutôt de nous, et plutôt légèrement… Amélie est venue nous rejoindre. Christine s’est lancée dans l’explication de sa recette des orangettes. Brosser, parer. Faire blanchir trois ou quatre fois, refroidir dans plusieurs bains, découper en bâtonnets qu’on plonge dans un sirop du même poids de sucre et du même poids d’eau que celui des écorces (en surveillant qu’il ne caramélise pas…). Quand les lamelles sont devenues translucides, elle les laisse sécher sur une grille toute une nuit. Et le lendemain, ça continue. Il faut maîtriser le tempérage du chocolat, faute de quoi on a travaillé pour rien. J’étais harassé à l’entendre, d’autant que depuis que j’évite le sucré, je me suis détaché de cette gourmandise des douceurs. On reprend un verre ?

Dimanche 27 février 2011. 23h20.

J’ai repris mon papier sur La malédiction de Jacinta de Lucia Puenzo. Florence avait besoin de brèves. Accroché à la porte de mon bureau la gravure de Tenniel qu’Amélie m’avait offerte à Noël et aussi dans le couloir la tapisserie faite par ma grand-mère Marie quand elle était enfant. Cela s’appelle « Les papillons »… C’est une scène de genre, un peu fin XVIIIème, avec des visages en tissu rapportés : une femme, une petite fille, et un petit garçon qui avance précautionneusement son filet dans les recoins du paysage. Cette grand-mère que j’ai très peu connue est née en 1878. A vingt-trois ans, elle épousait un veuf, mon grand-père, de vingt ans son aîné. On était en 1902, à Petit-Quevilly. Mon père naîtra un an après. Ce canevas appliqué est l’œuvre d’une gamine de huit ou dix ans. J’ai retrouvé aussi ses cahiers d’écolière et une rédaction tracée sans une rature à l’encre violette : « L’aveu d’une faute ». Chère Maîtresse, Qu’allez-vous pensez quand vous saurez que c’est moi qui ai lâché les hannetons dans la classe ? J’aurais dû confesser ma faute sur le champ ; mais lorsque vous aviez demandé à la coupable de se dénoncer, j’étais sûre que les autres élèves ne savaient pas que ce fût moi. J’ai eu honte de faire l’aveu de ma faute devant tout le monde. J’espérait d’ailleurs que les choses n’iraient pas plus loin et je me suis tue. Mais vous avez infligé une punition à toute la classe, et, je ne veux pas voir mes camarades subir les conséquences de ma faute. Je regrette vivement, chèe Maîtresse, soyez-en sûre, la peine que je vous ai causée en troublant ainsi l’ordre de la classe. Je mérite d’être punie ; aussi je vous prie de le faire avec toute la sévérité que vous jugerez, mais en même temps de lever la punition générale. Maintenant, chère Maîtresse, je tiens, pour profiter de cette leçon, à vous faire une promesse. Je m’engage, à l’avenir, à ne plus dissimuler mes fautes, quelle qu’en soit la gravité mais à vous les avouer franchement. Je ferai aussi tous mes efforts pour me corriger de mon étourderie. Enfin, je termine en vous priant de me pardonner car je suis vraiment fâchée contre moi-même. J’espère que vous voudrez bien le faire et que votre bon sourire amical accueillera encore votre élève repentante. Veuillez croire en ma sincère affection. Il y avait aussi des cartes de géographie, des guirlandes de fleurs au crayon de couleur. Papillons, hannetons. La semaine prochaine commencent les festivités du carnaval de Granville. Ma grand-mère est morte en mars 1967. Quand mon père est rentré prendre son train pour Paris après l’enterrement, il a dû traverser la foule des gens qui riaient, qui dansaient dans la rue. Couvert de confettis, il a longuement brossé son pardessus dans le compartiment.

jeudi 3 mars 2011

Samedi 26 février 2011. 21h40.

Thierry Giffard est venu découper à la meuleuse ce qui restait de l’arceau. J’ai attaché le rosier sur le portique. Au pied du frêne, tous les aillots sont en fleur. Visite à Georgette juste un peu fatiguée…

Vendredi 25 février 2011. 23h55.

Nous avons commencé les plantations et les semis au potager. De l’ail, de l’oignon, des échalotes, des fèves, des petits pois. Des fraisiers et des laitues rouges sous abri.

Jeudi 24 février 2011. 23h10.

De nombreux étudiants ce matin. Bien davantage que la semaine dernière en tout cas. Je me demande toujours ce qu’ils pensent de mes cours un peu foutraques où je les fais courir d’une association à l’autre et de leurs souvenirs personnels à des informations éparpillées en mikado. Ils reviennent en tout cas. J’ai fait traîner mon déjeuner aux Ondes : j’étais en avance pour l’enregistrement de Jeux d’Epreuves. Relu encore au coin de la table La fête de l’ours de Jordi Soler que j’y présentais. Je suis à chaque fois emporté par l’hallucinant tableau qui s’ouvre aux premières pages du roman. Les Pyrénées comme un immense calvaire de neige, de glace et de roches coupantes. Et cet homme qui gravit la pente, arrachant à chaque pas sa jambe blessée et tirant à sa traîne un compagnon encore plus mal en point que lui. Février 1939. La Catalogne vient de tomber entre les mains des franquistes. Il n’y a plus d’espoir pour les soldats républicains… Autour de Joseph, j’ai retrouvé Hubert, Laurent et Baptiste. Nous sommes plutôt tombés d’accord sur les livres. Notamment sur Le coprophile de Hairmont. Même sans polémique, l’émission est restée vive. Je suis sorti content. J’ai rejoint Amélie à l’appartement. Entassé des lectures plein la valise. J’emporte mon retard à Carolles chaque semaine et je le ramène à Paris à peine écorné.

Mercredi 23 février 2011. 21h50.

J’ai fini de lire les livres pour Jeux d’Epreuves : Marée noire d’Attica Locke, le premier tome de la nouvelle biographie de Gide par Frank Lestringant et Le coprophile de Thomas Hairmont. Etrange, étonnant roman que celui-ci. Du sujet on pouvait craindre le pire, et pourtant… L’histoire de cet étudiant en mathématiques emporté dans une addiction folle à la merde m’a bouleversé. Oui, vraiment. Ca se lit dans le dégoût et le trouble. Tout bascule, tout vacille. J’ai pensé à certains délires érotomanes de Pierre Louÿs. J’ai hâte d’entendre ce qu’en diront les autres.

lundi 28 février 2011

Mardi 22 février 2011. 23h00.

J’ai passé une partie de la matinée à écrire au service des réclamations, pardon, au service des « relations clientèles » de la poste. J’ai pris l’habitude que le facteur, à Paris, ne prenne jamais la peine de sonner si les livres que je reçois n’entrent pas dans la boîte aux lettres de l’immeuble. Il dépose des avis. Ce n’est pas bien grave, juste une petite perte de temps. Sauf que parfois, les paquets en instance se perdent. Là, j’en avais deux à retirer. Et rien à faire pour les retrouver. Le préposé a pris mon numéro de téléphone. On vous appellera. Tu parles… Je le connais par cœur ce « On vous appellera ». On ne m’appelle jamais. J’en étais au point de vouloir ouvrir une boîte postale quand j’ai compris, après une désespérante et kafkaïenne plongée dans les 3631 et 3634, que si ma demande était acceptée, mon courrier ne serait pas à ma disposition rue Daguerre (il n’y a plus paraît-il de boîtes postales dans les bureaux de poste…), mais dans un « centre de distribution », forcément éloigné. J’ai donc fait mon deuil de cette idée. Et d’ailleurs, à la réflexion, il ne me semble guère normal que la solution soit de payer pour être sûr de recevoir ce que des correspondants ont déjà payé pour vous envoyer. Me répondront-ils par courrier ? Je suis allé chercher Nathalie au Comptoir des mots. Déjeuner dans un restaurant sicilien à deux pas de la librairie. La dernière fois que nous nous étions vus, c’était en juin, au moment de ma lecture de Montée des cendres à travers le Père-Lachaise. Nous nous sommes mis à l’aune de nos histoires, de nos bouleversements. De nos projets. Avec elle, sans bien qu’on se connaisse, je me sens en connivence. À bientôt pour ton livre ! Il faisait beau. J’ai traversé le cimetière. Retrouvé naturellement le chemin de la 11e division, le bosquet Delille et la tombe de La Harpe. Je suis entré dans l’enclos. J’ai balayé avec la main les samares du frêne tombées sur la pierre. Enlevé de la pointe d’un bout de bois, la mousse qui recouvrait les lettres de son nom. Une jeune femme un peu plus loin prenait des photos des monuments. Une Américaine. Elle a bien voulu faire quelques clichés de la tombe. Who was he ? J’ai bafouillé un peu d’anglais. And you will send them to me ? Elle a pris mon adresse. J’avais mon cours à Censier. J’étais en avance. J’y suis allé à pied. Longé des rues et des avenues tristes et puis passé la Seine au pont d’Austerlitz. J’ai rejoint la fac par le Jardin des plantes. Ils n’étaient pas très nombreux les étudiants de mon deuxième groupe. Chaque rentrée de semestre, il y en a toujours qui s’égarent dans les couloirs, qui ne retrouvent pas la salle, qui ne sont plus très au clair avec leurs inscriptions. J’étais de ceux-là. Passé en coup de vent au pot de départ de Robert Solé au Monde des Livres. On se sera finalement peu parlé, m’a-t-il dit. J’arrivais un peu comme les carabiniers d’Offenbach. Plus beaucoup de gens. Plus grand chose à boire. Un fond de rhum, du cognac. J’ai trinqué. Bonne chance ! C’était idiot. Je ne sais pas quelle genre de phrase il faut prononcer dans ces occasions-là. J’aurais mieux fait de lui parler de son prochain livre qui sortira en mai. Comme le mien d’ailleurs... Je manque décidemment d’à-propos.

Lundi 21 février 2011. 23h45.

Aujourd’hui Camille a dix ans. Elle a dû ouvrir les petits paquets et les lettres que nous lui avons fait parvenir au Mexique par Armelle et Tanguy. Trois fois rien. Quelques titres des Aventures d’Alice de Caroline Quine qu’elle avait découvert avec nous au printemps dernier. Nous nous sommes revus en juillet, avec ses parents et ses sœurs, au mariage de Marion et Jérôme à Menthon, puis deux jours à la fin de l’été à Carolles. C’est étrange comme la distance creuse davantage l’absence. Enfin, pour nous, s’entend. Nous l’avons eue au téléphone. Alors, comment te sens-tu ce matin ? (fichu décalage horaire. Si, c’était bien le matin…) Je pensais à ce que dit Alice (l’autre, la vraie…) après qu’elle vient de faire cette longue chute dans le terrier du lapin blanc. Un passage que je me répète si souvent. Mon Dieu ! Mon Dieu ! Comme tout est bizarre aujourd’hui ! Pourtant, hier, les choses se passaient normalement. Je me demande si on m’a changée pendant la nuit ? Voyons, réfléchissons : est-ce que j’étais bien la même quand je me suis levée ce matin ? Je crois me rappeler que je me suis sentie un peu différente. Mais, si je ne suis pas la même, la question qui se pose est la suivante : Qui diable puis-je bien être ? Ah, c’est là le grand problème ! Camille, au bout du fil, n’avait apparemment pas été bouleversée par le passage de sa dizaine. – Euh, c’est un anniversaire comme les autres. Non ? Elle avait raison. D’ailleurs, je n’ai aucun souvenir du jour de mes dix ans. Quant à l’année, elle avait été celle de mon entrée au collège en sixième. Mais ça c’est une autre histoire. Nous sommes allés déjeuner chez François pour marquer l’événement à notre manière. Soleil. J’ai taillé les rosiers en rentrant.

Dimanche 20 février 2011. 22h10.

Les huîtres et le muscadet chez Georgette. Elle nous a demandé des nouvelles de Marianne, toujours à la recherche d’un appartement. J’étais inquiète pour elle. Alors j’ai commencé une neuvaine à saint Joseph. J’ai confiance. Ca ne lui apportera que du bon... Saint Joseph a toujours été le saint patron de la famille. Et plus encore depuis la disparition de mon grand-père Joseph dans les années soixante. Nous avons un vrai relais là-haut. Les prières y font leur chemin plus sûrement.

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