J’ai repris mon papier sur La malédiction de Jacinta de Lucia Puenzo. Florence avait besoin de brèves. Accroché à la porte de mon bureau la gravure de Tenniel qu’Amélie m’avait offerte à Noël et aussi dans le couloir la tapisserie faite par ma grand-mère Marie quand elle était enfant. Cela s’appelle « Les papillons »… C’est une scène de genre, un peu fin XVIIIème, avec des visages en tissu rapportés : une femme, une petite fille, et un petit garçon qui avance précautionneusement son filet dans les recoins du paysage. Cette grand-mère que j’ai très peu connue est née en 1878. A vingt-trois ans, elle épousait un veuf, mon grand-père, de vingt ans son aîné. On était en 1902, à Petit-Quevilly. Mon père naîtra un an après. Ce canevas appliqué est l’œuvre d’une gamine de huit ou dix ans. J’ai retrouvé aussi ses cahiers d’écolière et une rédaction tracée sans une rature à l’encre violette : « L’aveu d’une faute ». Chère Maîtresse, Qu’allez-vous pensez quand vous saurez que c’est moi qui ai lâché les hannetons dans la classe ? J’aurais dû confesser ma faute sur le champ ; mais lorsque vous aviez demandé à la coupable de se dénoncer, j’étais sûre que les autres élèves ne savaient pas que ce fût moi. J’ai eu honte de faire l’aveu de ma faute devant tout le monde. J’espérait d’ailleurs que les choses n’iraient pas plus loin et je me suis tue. Mais vous avez infligé une punition à toute la classe, et, je ne veux pas voir mes camarades subir les conséquences de ma faute. Je regrette vivement, chèe Maîtresse, soyez-en sûre, la peine que je vous ai causée en troublant ainsi l’ordre de la classe. Je mérite d’être punie ; aussi je vous prie de le faire avec toute la sévérité que vous jugerez, mais en même temps de lever la punition générale. Maintenant, chère Maîtresse, je tiens, pour profiter de cette leçon, à vous faire une promesse. Je m’engage, à l’avenir, à ne plus dissimuler mes fautes, quelle qu’en soit la gravité mais à vous les avouer franchement. Je ferai aussi tous mes efforts pour me corriger de mon étourderie. Enfin, je termine en vous priant de me pardonner car je suis vraiment fâchée contre moi-même. J’espère que vous voudrez bien le faire et que votre bon sourire amical accueillera encore votre élève repentante. Veuillez croire en ma sincère affection. Il y avait aussi des cartes de géographie, des guirlandes de fleurs au crayon de couleur. Papillons, hannetons. La semaine prochaine commencent les festivités du carnaval de Granville. Ma grand-mère est morte en mars 1967. Quand mon père est rentré prendre son train pour Paris après l’enterrement, il a dû traverser la foule des gens qui riaient, qui dansaient dans la rue. Couvert de confettis, il a longuement brossé son pardessus dans le compartiment.