J’ai rédigé un petit papier pour Le Monde sur le roman argentin de Carlos Gamerro, Tout ou presque sur Ezcurra. Grand beau temps. Nous sommes descendus jusqu’à la plage. Revenus par chez Georgette pour le rituel hebdomadaire des huîtres et du vin blanc. Nous avons parlé un peu de mes grands parents, de la famille disparue de ces temps-là. Je me suis dit qu’il faudrait que je questionne ma tante davantage. Il se trouve une foule de gens tout au bord de l’oubli. Mais je n’ose pas demander. J’ai peur de lui forcer la main, de l’ennuyer, de la fatiguer. De l’obliger à revenir sur des années qu’elle a peut-être envie de laisser dormir. J’ai avancé dans mes lectures « nordiques », en préparation du numéro spécial du journal pour le Salon du livre. Retenu surtout Amour de Hanne Ørstavik, le court roman, d’une mère et de son fils qui va avoir neuf ans. Hanne Ørstavik raconte en séquences brèves comment, dans une petite ville du nord de la Norvège, un des soirs de la longue nuit d’hiver, Vibeke et Jon se retrouvent et comment ils se perdent, sans bien le faire exprès. Ils ont dîné ensemble, somnolé peut-être, sans s’en apercevoir, chacun de leur côté. Il est toujours tard pendant cette saison. Jon est parti vendre, au porte-à-porte, des billets de tombola pour son club de sport. À peine rentré, il est ressorti en catimini, persuadé qu’il doit laisser sa mère seule pour qu’elle prépare le gâteau de son anniversaire. Vibeke l’a pensé endormi dans sa chambre. Elle est allée rendre des livres à la bibliothèque. Elle a flané à la fête foraine, fait quelques rencontres. L’anniversaire, elle a dû l’oublier. Au fur et à mesure de leurs chemins qui s’égarent dans un crépuscule sans fin, germe, sans rien d’évident, de palpable, dans les situations, les hasards, une inquiétude sourde. C’est vraiment un roman qui étreint. Nous étions invités à dîner chez Martine et Jean-Pascal, route de la Mazurie. Quelques bouteilles de bourgogne, une côte de bœuf grillée dans la cheminée. J’avais acheté chez Charles Sacrées sorcières de Roald Dahl pour Agathe. Coup de chance, elle ne l’avait pas déjà lu : à bientôt dix ans, elle dévore tout ce qui lui passe par les mains. Jean-Pascal m’a montré l’édition de 1790 des Oeuvres de l’abbé Mably qu’il venait d’acheter chez Peigne. Nous avons parlé livres anciens et botanique. En rentrant, à la lueur des lampes de poche, il nous a montré ses magnolias en fleurs. Des centaines de corolles, mauves, roses, blanches. J’ai encore oublié comment s’appelent toutes ces variétés. Tout ce que je sais, c’est que son jardin est planté d’essences rarissimes dont il égrenne doucement les noms latins.