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jeudi 15 janvier 2009

Mardi 13 janvier 23h00

Je déjeunais avec Emmanuelle et Elisabeth rue des Canettes quand Raphaëlle m’a appelé sur le chemin de l’aéroport. Elle me confie le papier sur Cheval de Morgiève pour Le Monde. Je suis content même si cela va être un peu acrobatique. Je dois en effet aussi rendre lundi à Florence, toujours pour Le Monde, 3000 signes sur Les cosmonautes au paradis de McCarthy. Chez Buchet, j’ai envoyé une dernière salve de services de presse. Mon livre sort dans un peu plus de vingt jours. Je me sens étonnamment détaché. Je suis rentré tôt pour préparer ma rencontre avec Régine Detambel à Nantes. J’ai assez hâte de la revoir. Juste regarder comme elle est devenue. Avec Noces de chêne chez Gallimard, elle vient de publier son dix-septième roman, plus les textes « brefs », les essais, la poésie, la littérature jeunesse, et le reste… Je grandirai tellement que les pièces de la maison ne seront plus à proportion de mon envergure, écrivait-elle déjà en 1993 dans Le vélin.

Lundi 12 janvier. 23h00

La journée à lire. J’ai retrouvé Amélie au cinéma Action de la rue des Ecoles. On y projetait avant son passage sur Arte Romans made in New York, le documentaire de Nelly Kaprielian sur la nouvelle génération des écrivains New Yorkais. Je suis peu versé dans la littérature américaine contemporaine. Je connais quelques noms, j’ai lu quelques livres, mais je m’y suis peu arrêté. C’était donc pour moi une vraie découverte que d’écouter ces auteurs, chez eux, aborder la création, les doutes, les filiations littéraires et d'essayer de définir leur désir d’écriture et leur place. Tous ne m'ont pas séduit, loin de là, mais Jonathan Franzen a parlé assez drôlement de New York capitale de la folie, douce ou pas... Ca m’a donné plutôt envie d’y retourner. Nous avons marché un peu en sortant. Dîné dans un vietnamien près de Maubert. Nous y avons croisé Raphaëlle. Il faut qu’on se parle. Elle, c’est demain qu’elle part à New York.

Dimanche 11 janvier. 23h50

Quelques pas sur la grève. La mer était laiteuse sous un ciel vraiment bleu. On a de la chance, non ?, a dit Amélie, les yeux brillants et les joues toutes rouges de vent. Oh oui, tellement... A chaque fois, mon regard va du large au trait fin de Cancale puis à la pointe de Carolles. A chaque fois je frissonne étrangement de ce paysage inchangé. Mon grand-père François qui repose depuis 1921 au cimetière le voyait pareil. Je me sens d’ici. Et plus encore avec Amélie maintenant à mes côtés. J’avais un petit papier à écrire pour Le Monde sur A contretemps, le dernier roman de Jean-Philippe Blondel chez Laffont. Une jolie déclinaison sur les livres, sur l’envahissante lecture. Jean-Philippe, je l’ai rencontré la première fois au festival du premier roman de Chambéry en 2004. Nous nous sommes peu revus depuis. Je pense souvent à lui mais je ne fais guère d’efforts pour le joindre. Je laisse l’amitié aller à vau-l’eau. Le courrier en retard et les coups de fil sans réponse.

Samedi 10 janvier. 22h30

A Granville, les carrefours, les places, s’engouffrent de courants d’air. Je n’ai pas le souvenir d’autant d’hiver ici. Nous avons fait le marché au pas de charge. Des praires, des encornets. Des pommes de terre, deux batavias maigrichonnes aussi : il n’y a plus rien au potager. J’avais promis de rapporter à Pascale de la soupe d’étrilles. Mais nous n’avons pas eu le courage de remonter la rue Le Campion et de pousser jusqu’au port. Il doit me rester encore quelques bocaux à la maison… Sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés chez un tout petit brocanteur, route d’Avranches, pour acheter des cadres pour installer nos photos. L’après-midi, j’ai rédigé l’interview de Tom McCarthy pour le site d’Hachette à l’occasion de la sortie de son livre Les cosmonautes au paradis. Drôle de fable métaphorico-métaphysique qui se passe à Prague au moment de la Révolution de velours. C’est mélancolique et farfelu. McCarthy a écrit deux ou trois ans plus tôt un Tintin et le secret de la littérature. Je vais aller voir de quoi il s’agit.

Vendredi 9 janvier. 23h15

Grand froid toujours à Carolles. De la glace dans les ornières des chemins, du givre sur les talus. Georgette sort vaillamment une petite demi-heure chaque jour. Le temps polaire lui fait du bien. Moi, je suis resté à la maison, à m’efforcer de faire doucement grimper la température pour l’arrivée d’Amélie. Mais il faisait à peine seize dans la chambre quand nous nous sommes couchés.

Jeudi 8 janvier. 23h40

Je suis resté hanté par les lambeaux d’un rêve que j’ai fait cette nuit. Enfin, un rêve… Une vision plutôt. Et c’est loin d’être la première fois qu’elle m’advient. Je me suis retrouvé à Senlis dans la propriété de Mme Bouvier. Quand ma mère travaillait, elle me confiait à Mr et Mme Descroix, les concierges de cette grosse maison XVIIIe. J’étais très petit… Cela a duré de nombreuses années. Il y avait d’autres enfants parfois. Mais le plus souvent j’étais tout seul. Au perron de la maison, s’ouvrait une cour pavée, puis un jardin à la française. A l’arrière, un grand parc avec en contrebas un potager. J’ai passé là-bas pas mal d’années d’enfance à m’y balader. Le parc avait une grande pelouse avec au centre un cèdre, le reste était occupé par un bois que traversaient quelques chemins. En lisière, se dressait une espèce de bosquet surélevé, où se trouvait, il me semble, un piédestal de statue ou une balustrade. Un banc, en bas, permettait plus ou moins d’y grimper. C’est à cet endroit précis que se situe mon songe. Il n’y a pas d’histoire. Et rien à raconter. Juste un sentiment d’angoisse et de malaise. Je suis sûr qu’il s’est passé là un événement terrible. Qu’au propre, comme au figuré, quelque chose y est enterré. Dans une semi veille, j’essaie de réfléchir, de rappeler des souvenirs. Rien à faire. La seule certitude est que le lieu est abominable. Voilà… J’en ai été enveloppé toute la journée. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? C’était Jeux d’Epreuves en fin d’après-midi. Et le dernier roman de Fabienne Juhel, A l’angle du renard, au Rouergue, le livre dont je parlais justement, n’est que secrets enfouis et cadavres cachés. Drôle de coïncidence. Amélie rentrait tard. Un auteur à accompagner encore. Je suis passé à la mairie du IXe où était organisée une exposition des œuvres de Bolek à l’occasion de la sortie de son livre, Je voulais pas crever. Il s'agit du récit du parcours de galère de ce marginal dont la peinture a transformé la vie. Je ne suis pas très lecteur de ce genre d’histoires. Pourtant tout cela tient. C’est que le texte de ce témoignage a été entièrement écrit par Laurent qui est parvenu à y faire passer une belle émotion et une grande humanité… Nous ne nous étions pas vus depuis le mois de novembre quand il était venu dîner avec Anne-Gaëlle à l’appartement de la rue Saint-Charles. Beaucoup de monde. Nous avons juste pu nous serrer la main. Bu un verre avec Marianne. Embrassé Anne-Gaëlle. J’ai filé. A la maison, Amélie venait de rentrer.

mercredi 7 janvier 2009

Mercredi 7 janvier. 23h30

J'ai bu un café place Saint-Sulpice avec Pascale. Du comment vas-tu et bonne année... Nous nous sommes juste dit deux mots sur les funérailles de Michel au Père-Lachaise le 2 janvier. Les gens de l'édition, les amis... Elle y avait assisté. Amélie et moi étions à Carolles à ce moment-là. Michel est mort le 23 décembre. Il avait soixante-et-un ans. Pas grand chose ajouter. Nous avons partagé ce sentiment de solitude contagieuse. Je vais appeler Joëlle, vite, mais je ne veux pas faire du canif dans son chagrin. La semaine prochaine?

J'ai retrouvé les étudiants à Censier. Un petit noyau d'irréductibles en ces temps de partiels et de révisions. Est-ce dû aux quatre heures passées avec eux ? Je vais mieux, je me sens mieux. Je n'ai plus de fièvre, plus rien qu'un halo de malaise qui se dissipe doucement. Je suis passé chez Buchet mettre au net et au propre les propositions 2009/2010 pour « Domaine Public » . Amélie est venue me rejoindre assez tard. Le frigo était vide à la maison. Nous avons dîné au couscous de l'avenue Emile Zola. J'ai dévoré. Oui, ça va vraiment mieux.

mardi 6 janvier 2009

Mardi 6 janvier. 22h30

Je me suis extirpé avec peine de ma gangue douloureuse. Les muscles, les os. C'est si bête de se sentir vaincu à ce point. Un bon quart d'heure sous la douche brûlante. J'ai travaillé à ma dernière intervention du semestre à Censier. Corrigé les travaux des étudiants. Je leur ai préparé un long questionnaire d'actualité sur l'année 2008. Drôle de regard en arrière de journaux en dépêches. Tant d'événements oubliés et cette répétition folle des mêmes moments d'horreur. Le 14 janvier, il y aura un an dans quelques jours, l'armée israélienne débute une nouvelle semaine de raids pour répondre aux tirs de roquettes artisanales visant des civils israëliens en provenance du territoire de la Bande de Gaza. Et début mars : De nouveaux raids israéliens et une opération terrestre contre la Bande de Gaza. 63 Palestiniens tués, dont des femmes et des enfants, 150 autres sont blessés, lors des raids et d'une opération terrestre. Deux soldats israéliens sont tués. J'avais l'impression de lire sur du papier en cendres. Je me suis harnaché (trois pulls) pour aller chez Buchet. Là-bas mon rendez-vous a confirmé ce que je pressentais. On continue la collection mais sans en changer le format, ni la présentation. Pour le moment... Question de coût. La vraie bonne nouvelle reste qu'elle continue et que je peux avancer davantage de titres dans l'année. Tout sera prêt à temps.

lundi 5 janvier 2009

Lundi 5 janvier. 22h00

J'ai dormi toute la journée. Amélie est passée vers midi, mais je n'ai gardé qu'une impression floue de sa visite. Comme écrasé de fièvre molle.

Dimanche 4 janvier. 23h50

C’est à mon tour de ne pas me sentir bien. Je paie mon jardinage de vendredi dans le froid. Pas assez couvert. J’ai toussé, mouché, craché, dès le réveil. J’ai dû me recoucher. De la fièvre, des courbatures. Ca tombe mal. J’ai une semaine de rentrée assez compliquée. Nous avons pris le train plus tôt. Trajet vaporeux. Arrivée cotonneuse. Je me suis couché à peine arrivé à la maison.

Samedi 3 janvier. 22h10

Depuis hier soir, nous n’avions plus de téléphone. Plus de réseau internet non plus. J’ai compris pourquoi. Qu’est-ce que c’est que ce fil qui traîne dans le jardin ? Aïe… En raccourcissant au taille-haie le sommet du cotoneaster, j’ai tranché net l’alimentation. Heureusement, Franck, l’électricien-plombier est venu réparer. On lui doit ainsi une multitude de petits sauvetages essentiels. C’est grâce à lui, surtout, que la maison a changé. Que nous sommes parvenus à l’habiter vraiment. Je crois, encore plus aujourd’hui, que je ne serais jamais parvenu à mener à bien seul la moindre rénovation. L’incident m’a fait prendre une résolution de début d’année : je vais rappeler tous les artisans qui doivent travailler à l’aménagement de la chambre dans l’ancien garage. En mai, nous avons une échéance…

Vendredi 2 janvier. 22h45

J’ai travaillé au jardin toute la journée. J’ai terminé avec une coupe légère à la charmille, aux lauriers et au cotoneaster. Je finirai l’opération après les grands froids. Reste encore à délimiter les contours des pelouses devant la maison. Nous sommes allés jusqu’aux Fontenelles. La mâche est toute flétrie. Impossible d’arracher les poireaux au sol gelé. Chez Georgette, nous avons retrouvé Josette et Jean-Claude qui rentraient juste de Roubaix. Henri est sorti d’affaire. Mais Josette peut à peine en parler tant elle est encore sous le coup de l’émotion. Là-bas, elle était dans l’action, l’ambulance, les médecins, la chambre d’hôpital. Le long trajet du retour lui a fait prendre vraiment conscience de ce qui a failli se passer. Je comprends tellement son désarroi et son angoisse. Elle se retient pour ne pas pleurer, ne pas se mettre en colère. C’est qu’il n’est tellement pas raisonnable Papa, dit-elle en écho à Georgette. Buvons à la nouvelle année, a tranché Amélie. Elle est partie chercher une bouteille de champagne chez Charuel. Et nous avons trinqué à toutes les santés et aux bonheurs à prendre.

Jeudi 1er janvier. 22h15

Amélie a voulu sortir. Trop de ciel bleu pour rester enfermée. Je t’assure que je vais très bien. Nous sommes allés ramasser des feuilles mortes aux Châteliers. Du chêne, du châtaignier. Trois allers-retours en voiture, banquettes repliées et coffre plein. Je les ai étendues sur les massifs. Il était temps. Le froid coupant s’est installé et les narcisses, au dernier redoux, avaient commencé à sortir de terre. Cela protègera aussi les pivoines, les fuschias. Un rouge-gorge s’est précipité dans l’épais matelas sec. Il a picoré longtemps sans se soucier de moi. Premier oiseau de l’année. Et vraiment pas farouche…

Mercredi 31 décembre. 23h45

Amélie est restée au lit une bonne partie de la journée. Tisane de thym. Aspirine. Son coup de froid a cédé avec le repos. Au soir, elle était nettement plus vaillante. Moi, j’ai tronçonné du bois sans arrêt. Du « bois à clous » que nous gardions sous l’auvent depuis des mois : palettes de récupération, planches de chantier… J’ai fini par en amonceler un assez beau tas. Il ne fera pas long feu. Tout cela va brûler comme des allumettes. Je suis passé chercher Georgette. Je l’ai trouvée soucieuse. Henri, son frère a dû être hospitalisé. Il était tombé chez lui et ne parvenait plus à se relever. Aux urgences, ils ont diagnostiqué une bronchite grave. C’aurait pu être fatal. Mais comprends bien, il n’est pas raisonnable. Il ne voulait pas appeler le médecin. Elle a fini par accepter de venir quand même boire un peu de champagne, d’avaler quelques canapés. Oh, je ne reste pas longtemps. Elle est finalement partie bien plus tard que prévu. Nous avons regardé d’anciennes photos de famille. Décidemment, de Grasse à ici, la fin d’année est placée sous ce signe. Je notais au dos les noms, les indications qu’elle me donnait. Tout à coup, elle est tombée en arrêt devant un minuscule cliché. C’est la rue Pujet ! Jusqu’en 1935, mes grands parents avaient habité cette maison. Georgette était bouleversée. Vous savez, c’est là que j’ai grandi. - Tu pourrais la refaire ? Je l’accrocherais près de mon lit. En nous quittant, elle a offert à Amélie, une petite huile sur bois fin XIXe représentant un bouquet de giroflées dans un vase de cuivre. J’ai acheté ce tableau au marché aux puces de Roubaix juste après guerre, lui a-t-elle raconté. Depuis, il a toujours été chez moi. Je pense aujourd’hui qu’il est mieux ici. Je l’ai raccompagnée sans mot dire. Juste : A demain, bonne nuit. Nous nous sommes couchés juste avant le passage de l’année.

Mardi 30 décembre. 22h00

Courses à Granville. Le thermomètre est largement descendu en dessous de zéro. Les routes sont verglacées. Georgette, en plus de son épicerie et de ses légumes, nous a demandé de lui trouver des aliments « qui font grossir ». Elle a perdu plus de trois kilos la semaine dernière. Nous sommes revenus avec des escalopes de foie gras frais, de la crème de marrons, des avocats, du saumon fumé… J’ai trouvé aussi une grosse poule qui lui fera quelques litres de bouillon. Je ne saurai jamais manger tout ça, dit-elle en riant. J’ai fait le tour du jardin. Ce n’est pas l’ouvrage qui manque : nettoyer les plates-bandes, les pailler. Elaguer un peu la charmille. Ramasser les débris végétaux. Couvrir le pied des rhododendrons. Soigner le buis de l’entrée attaqué par un champignon qui cuivre tout son feuillage. Fabien m’a prêté sa tronçonneuse et son taille-haies. Amélie a pris froid. Elle est restée l’après-midi, bûche à bûche, à faire rouler un feu d’enfer. Sans pourtant cesser de grelotter.

mardi 30 décembre 2008

Lundi 29 décembre. 23h00

Les oiseaux sont arrivés intacts. Nous les avons installés sur la commode. Reste maintenant les identifier. Plumages bleus, jaunes, verts. Têtes rouges, plastrons blancs. Ca ne va pas être simple. Je n'y connais rien en oiseaux exotiques. Le jardin est en repos, bordé de froid. Nous sommes allés jusqu'au port du Lude. Tout a gelé. L'herbe est blanche de givre. Des blocs de glace restent pris aux rochers du ruisseau. L'anse, au début du couchant était toute pour nous. Nous sommes passés aux Fontenelles. Fauché la roquette montée en hautes tiges pour en faire une soupe d'herbe amère. Georgette nous attendait chez elle, toujours un peu lasse, douloureuse et fragile. On lui fera ses courses. Fabien est venu dîner. Il a passé son Noël à Agon. Il nous a donné des nouvelles d'Emmanuelle et des enfants.

Dimanche 28 décembre 23h50

Claire m’a fait un cadeau. Une photo, encore. Elle a été prise en septembre 1983 au chemin de Feïsoulade, sur les hauteurs de Grasse, près du Pilon, une grande maison de famille qui appartient maintenant à un des oncles d’Amélie. C’est elle, Amélie, justement, que l’on voit sur ce cliché en noir et blanc. Debout, arrêtée dans sa promenade sur un sentier bordé de chênes verts. Elle a le visage tourné vers l’objectif. Rieuse dans l’esquisse. Un rien gênée, à peine, comme si elle ne savait pas très bien quelle attitude adopter. On lui a dit : Regarde-moi, fais un sourire. Elle se tient les épaules en arrière, les bras ballants. Au poignet droit, elle porte une montre genre Swatch, à l’autre un petit bracelet plat en métal. Elle est chaussée de tennis en toile, probablement bleu marine, à semelle de caoutchouc blanc et à lacets de coton, les chaussettes roulées sur les chevilles. Elle porte un assez large bermuda de toile tenu par une ceinture de tissu tressé. Un sweat shirt, enfin, qu’on imagine dans les orange avec des inscriptions sportives. Elle a les cheveux ramenés vers l’arrière en une grosse queue de cheval. Elle a les yeux très vifs. Elle est très jolie. Elle est une petite fille. Elle a presque douze ans. J’ai glissé l’épreuve dans mon agenda. Passé, présent, futur : je m’emmaillote dans les temps. Le ciel était tout bleu sur les collines. Nous sommes allés chez le boulanger avec Marion et Jérôme. Du pain au levain, des gressins, une pissaladière. Après le déjeuner, nous avons pris le café sur la terrasse. Véronique et François sont passés dire bonjour. Nous, nous bouclions les bagages. Nous avons enveloppé les oiseaux et leur globe de verre dans des mètres et des mètres de papier bulle. Installé le tout dans une gigantesque valise. Ne pas la heurter. Ne pas la coucher. Le voyage dans le train du retour jusqu’à Paris a été un peu inquiet. Pas de casse… Demain il faudra renouveler l’opération jusqu’à Carolles.

dimanche 28 décembre 2008

Samedi 27 décembre. 23h00

Toujours les photos... Amélie a extrait du bas de l’armoire de la chambre un grand carton usé empli de tirages noir et blanc en vrac, d’albums dépareillés aux feuillets volants. Qui c’est ? Et là, qui c’est ? Là encore, revenait toujours la même question. Avec toujours aussi ce même attachement curieux, cette excitation de la confrontation à un passé que l’on peut encore nommer. Que l’on peut reconnaître. Amélie en a mis un petit paquet de côté. Elles iront à Carolles rejoindre celles que j’ai déjà accrochées dans l’entrée. Affaire d’union et d’alliance. Partis faire le tour des brocantes du coin pour leur trouver des cadres, nous sommes revenus avec une extravagante composition Napoléon III d’oiseaux exotiques empaillés, installée sous un grand verre à pendule. Amélie m’avait fait signe dans la boutique. Nous avons été séduits tout de suite. L’ensemble est magnifique. Reste à savoir comment nous allons transporter ce très fragile et encombrant colis, à Paris, puis à Carolles… J'ai apporté mon livre à Jean-Paul, le libraire de Pré-du-lac. Beaucoup de monde chez lui. Nous avons discuté un tout petit moment. Il me fera signe quand il m'aura lu. Je pourrai peut-être faire une signature début mars. Nous verrons. Jérôme est allé chercher Marion à la gare de Cannes. Ils sont arrivés tous les deux peu de temps avant Patou, l’oncle d’Amélie, grande gueule et grand cœur, toujours un peu ogresquement désespéré. Nous avons dîné d’huîtres et d’omelette dans une bonne humeur qui ressemble beaucoup… au bonheur.

Vendredi 26 décembre. 22H45

Amélie a traîné une espèce de lent vague au cœur. Elle est restée au lit une bonne partie de la journée. Pas trop en forme. J’ai feuilleté quelques livres pour les papiers de rentrée. Rêvassé. Le vent qu’on avait entendu fort pendant la nuit s’était doucement essoufflé. Je suis sorti voir le citronnier que nous avions ramené de la cour de l’immeuble pour le planter ici il y a deux ans. Le parigocitrus, comme l’appelle Emmanuel. C’est maintenant un bel arbuste qui feuille tant qu’il peut. Autre réunion de famille au soir. Chez Milène, une des sœurs d’Emmanuel et son mari Xavier. La maison, une bastide profonde, enfouie sous la verdure s’appelle Malbosc. Nous y avons retrouvé certains de ceux que nous avions croisé hier. Et d’autres aussi. Revu Laure et Benoît, leur petite fille Noémi, seize mois déjà, que nous avions découverte tout bébé en août à leur retour d’Anjouan. Florian, le mari d’Anne-Sophie, la sœur de Laure, est photographe. Il s’est attelé, depuis 2006, à un travail considérable. Extrêmement émouvant surtout. Il s’agit de numériser, d’ordonner, de mettre en relation et en perspective plusieurs milliers de plaques photographiques réalisées au tournant des XIXe et du XXe siècles par Antoine Maure, un (très) arrière-arrière-grand-oncle. Le tout était encore, il y a peu, oublié dans un grenier. Ce sont des portraits intimes, de petits reportages locaux, des clichés exotiques de voyages lointains. Quel gigantesque puzzle sensible. Cela me fascine parce qu’une foule de visages reviennent de l’oubli avec, souvent, leur nom. Et parce qu'enfin cette galerie épouse très tendrement l’époque. La rendant accessible. Proche. Vivante. Oui, vivante.

Jeudi 25 décembre. 23h30

Emmanuel m’a réparé le manche d’une spatule de cuisine en acier inoxydable. Un peu de mastic beige clair. Un moment sous les serre-joints. Elle était comme neuve. Ou presque... Cet ustensile fait partie de mon panthéon domestique, de mes minuscules divinités d’enfance. Ma mère s’en servait pour décoller le bord des crêpes, pour retourner dans la poêle les steaks, les galettes de pommes de terres, pour glisser les œufs sur le plat dans l’assiette. Je l’avais emportée avec moi quand j’avais monté mon ménage d’étudiant à Paris. La petite pelle à tout faire ne m’a jamais quitté. Elle accompagne ma vie depuis plus de quarante ans. L’efficace sauvetage d’Emmanuel me la garde encore. Révérence aux objets. Il y en a tant d’autres qui font part de moi-même. Ridicule ? Allons, je ne cherche même plus à m’en défendre. Nous avons passé une journée de Noël douce et un peu cotonneuse. Près de la cheminée. Dehors, il tombait une pluie verticale et glacée qui n’a cessé qu’avec la nuit. Nous étions invités pour un verre à Grasse chez Christian et Mino. Plein de cousines et de cousins. Ca ne m’effraie plus vraiment. J’ai rattrapé les noms au vol avec mes souvenirs des précédentes rencontres. Au-dessus de la cheminée était installé un trumeau début XIXe. Sur fond de paysage montagneux, la peinture représentait les adieux d’une mère et de son fils. Le tout jeune garçon, sur le seuil de la maison, une lourde besace à l’épaule, s’arrachait doucement à l’étreinte. Il y avait quelque chose de bizarrement touchant qui se dégageait de la scène et qui tenait sans doute à la maladresse du trait et à la posture trop rigide, un peu outrée des deux personnages. Nous en avons parlé un moment avec Jérôme. Lui voyait dans la représentation quelque chose de beaucoup plus équivoque et même de franchement leste. Ca ne m’avait vraiment pas effleuré. Comme quoi…

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