Emmanuel m’a réparé le manche d’une spatule de cuisine en acier inoxydable. Un peu de mastic beige clair. Un moment sous les serre-joints. Elle était comme neuve. Ou presque... Cet ustensile fait partie de mon panthéon domestique, de mes minuscules divinités d’enfance. Ma mère s’en servait pour décoller le bord des crêpes, pour retourner dans la poêle les steaks, les galettes de pommes de terres, pour glisser les œufs sur le plat dans l’assiette. Je l’avais emportée avec moi quand j’avais monté mon ménage d’étudiant à Paris. La petite pelle à tout faire ne m’a jamais quitté. Elle accompagne ma vie depuis plus de quarante ans. L’efficace sauvetage d’Emmanuel me la garde encore. Révérence aux objets. Il y en a tant d’autres qui font part de moi-même. Ridicule ? Allons, je ne cherche même plus à m’en défendre. Nous avons passé une journée de Noël douce et un peu cotonneuse. Près de la cheminée. Dehors, il tombait une pluie verticale et glacée qui n’a cessé qu’avec la nuit. Nous étions invités pour un verre à Grasse chez Christian et Mino. Plein de cousines et de cousins. Ca ne m’effraie plus vraiment. J’ai rattrapé les noms au vol avec mes souvenirs des précédentes rencontres. Au-dessus de la cheminée était installé un trumeau début XIXe. Sur fond de paysage montagneux, la peinture représentait les adieux d’une mère et de son fils. Le tout jeune garçon, sur le seuil de la maison, une lourde besace à l’épaule, s’arrachait doucement à l’étreinte. Il y avait quelque chose de bizarrement touchant qui se dégageait de la scène et qui tenait sans doute à la maladresse du trait et à la posture trop rigide, un peu outrée des deux personnages. Nous en avons parlé un moment avec Jérôme. Lui voyait dans la représentation quelque chose de beaucoup plus équivoque et même de franchement leste. Ca ne m’avait vraiment pas effleuré. Comme quoi…