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samedi 12 décembre 2020

Jeudi 10 décembre 2020. 14h10.

Coup de fil de Véronique qui s’occupe de la culture à la mairie. La petite réunion qui devait avoir lieu autour de mon livre est annulée. A cause, toujours des « réglements sanitaires ». On verra en janvier, me dit-elle. Sauf si, bien sûr… Cette folie semble ne plus avoir de fin.

mercredi 9 décembre 2020

Mercredi 9 décembre 2020. 21h50.

J’ai appris par Marcus qu’André allait vraiment mal. Son cancer s'est généralisé. André Dukiel est le prêtre qui nous a bénis Amélie et moi l’été 2009. Très proche de Marcus depuis très longtemps. Je lui dois, très près de notre première rencontre, d’avoir compris combien, finalement, tout est simple. On s’était écrit après le début de sa maladie. Je fais, me disait-il, l’expérience de ma fragilité et de mes limites. Je me découvre aussi davantage « homme de foi » que je ne le pensais… A défaut d’une guérison physique, je vis pour le moment une guérison spirituelle. Décentrement de soi, abandon confiant et total à Dieu quoi qu’il arrive. Je prie avec mes mauvais doigts sur un pauvre chapelet. Je me sens triste de nos conversations inachevées. Je pense à Marcus que le « confinement » a bloqué au Mexique et qui voulait venir lui dire au revoir. André est en soins palliatifs à Metz. Je ne pourrai pas non plus y aller. Il y était le chanoine de la cathédrale. Je lui souhaite une fin sans souffrances. Que Dieu et ses anges accueillent ce doux et fidèle serviteur, celui qui reste mon guide et mon ami, dans le plus mérité des paradis.

Mardi 8 décembre 2020. 20h45.

J’ai reçu l’autre jour un très gentil message de Jean-Marc Graziani pour me remercier du papier dans Le Monde. Quelques lignes de courriel. Dimanche, c’était Marie-Hélène qui m’envoyait un court « texto » en réponse du petit mot de félicitations que je lui avait adressé après le Renaudot. Bon. Il faudra m’expliquer un jour pourquoi aujourd’hui les écrivains ne sont plus capables, en dehors des dédicaces de page de garde, d’écrire trois lignes à la main sur une feuille de papier, de la glisser dans une enveloppe et de poster le tout (timbré, bien sûr). Parce que les autres, je me suis fait une raison. Mais les écrivains… Ils ne savent plus tracer une ligne avec un stylo ? Et encore, je parle des « autres », mais mes nièces, pour n'évoquer qu’elles, m’envoient des lettres. Elles savent bien que le courrier est un moyen de communication sensible. Les écrivains semblent maintenant l’avoir oublié. On ne va pas dresser la liste, mais ils sont bien rares ceux avec qui il est possible se nouer ne serait-ce que l’ébauche de ce précieux échange. Je l’ai tant éprouvé avec certains, si proches, tellement proches pourtant. Vieux jeu ? Sans doute. Les échanges électroniques ne nourriront probablement pas des volumes de correspondance. Mais qui s’en soucie ?

mardi 8 décembre 2020

Lundi 7 décembre 2020. 16h50.

Pas de nouvelles de cette fichue retraite. Je pensais que ça commençait à s’arranger. Mon compte en banque fond à vue d’œil. Je me souviens de Ferré. Il n’y a plus rien. Plus plus rien. En fait, c’est catastrophique. Faisons encore un peu semblant. J’ai accompagné Amélie à la gare. Mais là-bas, coup de théâtre. Elle avait oublié son sac à la maison. Pas de papiers, pas de billet de train, pas de clés d’appartement. Trop tard pour refaire le trajet jusqu’à Carolles. Le prochain départ est demain à 5h30. Nous sommes rentrés plutôt contrariés. Amélie a embarqué la chienne sur la falaise. J’ai écrit des cartes de Noël.

Dimanche 6 décembre 2020. 18h00.

Le pied va mieux. Maintenant, c’est le dos. Vieillerie. C’est vraiment ça. Le tissu craque à côté de la dernière racommodure. Trop usé. J’ai acheté Les mémoires du sergent Bourgogne. Une édition de distribution des prix, toute rouge et dorée. Michel m’en avait parlé quand nous nous étions vus au salon du Livre de Levallois. Ce récit de la retraite de Russie l’avait tellement impressionné qu’il avait décidé d’en faire la matière d’un livre après son Hiver 1814. Je crois bien qu’il est en chantier. J’envie à Michel ce souffle de l’histoire de France. Il est dans l’épopée et l’essentiel. Le fragile, le nécessaire. Et il porte cette grande idée, cette continuité, ce chant de la terre, la nôtre, celle des hommes qui nous ont fait. Je l’admire.

Samedi 5 décembre 2020. 16h10.

J’ai découvert que mon Officier de fortune était retenu sur la liste du prix littéraire de l’armée de Terre – Erwan Bergot. J’ai pensé que cela aurait consolé un peu mon père de la liberté que j’ai prise de parler de sa vie dans un roman. Je crois quand même avoir été fidèle. Avoir compris ce qu’il m’a tu. Et deviné son itinéraire. Pour le prix, c’est une autre affaire. Le livre avait déjà été sur la très éphémère sélection de printemps du Renaudot. J’étais aussi en lice pour le prix François Mauriac et pour le prix du Cotentin, mais le foutoir sanitaire a arrêté tout ça.

Vendredi 4 décembre 2020. 21h20.

Raphaëlle a retenu le papier que je lui avais proposé sur Une douleur blanche, le dernier roman de Jean-Luc Marty. C’est un texte de retour en terre d’enfance, de souvenirs surgissants, de crainte, de peine, d’élans étranges et inquiets. J’avais, il y a plus de dix ans, rédigé une brève sur Rumba qui racontait aussi une histoire de traces perdues. Je m’y mets la semaine prochaine. Elle est d’accord aussi pour que je lui rende deux (courtes) chroniques des Bons garçons de Pierre Adrian et d’Observations en trois lignes d’Emmanuel Venet. Je suis content, ce dernier trimestre, j’aurais réussi à passer pas mal de mes propositions. Je peaufine celles de janvier/ février. Déjà, il y a un nouveau Morgiève.

vendredi 4 décembre 2020

Jeudi 3 décembre 2020. 20h20.

Un pied devant l’autre ce matin. Ouf. Il va juste falloir être patient. Amélie est arrivée pour déjeuner. Elle avait récupéré La Harpe en passant. Elle a grossi, lui a dit Séverine, vous devriez la mettre un peu au régime. Grossi ? Je regarde la chienne. Moi qui trouvais qu’avec l’âge (elle a cinq ans maintenant), elle commençait, malgré son petit gabarit, à prendre une vraie allure de clumber spaniel, alors que, jusqu’ici, son côté efflanqué lui donnait parfois des airs de pointer... J’ai fait du courrier. Comme toujours, je suis en retard. Je voulais surtout envoyer un petit mot à Marie-Hélène et à Pascale pour le Renaudot. Voilà qui vient conforter leur travail, à l’une et à l’autre. Au long cours. Evidemment, aujourd’hui, les beaux esprits se partagent entre ceux qui disent que les prix ne sont que de la verroterie littéraire et ceux qui hurlent à la gérontocratie et au patriarcat des jurys. C’est juste leur manière d’exprimer leur aigreur. Stultorum numerus est infinitus, comme on dit. Le service de presse de chez Gallimard m’a envoyé l’agenda Pléiade de 2021. Je suis touché d’être toujours sur la liste. Peur qu'ils m'oublient. J’aurais du mal à me passer de ce petit carnet. Depuis 2000 (ça devait être à cause du compte rond), je les garde précieusement. Pourtant, comme ce journal, ils sont pleins de lacunes. Des semaines, des mois entiers. Dans le dernier, drôle d’année oblige, je n’ai guère noté de rendez-vous.

Mercredi 2 décembre 2020. 17h00.

Pas la grande forme. J’ai reçu l’ordonnance de Bruno Genevray. Brigitte est allée me chercher les médicaments à la pharmacie de Jullouville. J’avale les cachets. Un peu plus de chimie dans tout ce que m’ingurgite quotidiennement.

mercredi 2 décembre 2020

Mardi 1er décembre 2020. 21h00.

Je ne suis finalement pas parti à Paris. Je peine tellement à poser le pied par terre que le voyage en train, le trajet de la gare à l’appartement, sans parler des rendez-vous du lendemain, étaient impossibles. J’ai appelé Bruno Genevray pour décommander la consulation de mercredi. Il va m’envoyer une ordonnance. Je sais, ça va passer. On se verra l’an prochain. Amélie a donc pris seule le train de 15h00 et quelques. Elle m’a téléphoné en arrivant rue Danville. Le paillasson était encombré de toute une masse de livres pour moi. Demain nous ferons le tri de ceux qu’elle rapportera ici. Le poisson rouge est mort. Le « reconfinement » lui a été fatal. Pas même eu le temps de lui donner un nom à celui-là. Nous n’avons pas de chance avec nos carassins. C’est une vraie hécatombe, en fait. On ne compte plus, au fil des années, ceux que nous avons retrouvés, flottant le ventre en l’air dans leur aquarium (nous nous sommes débarrassés de celui de Carolles), ou dans les tonneaux de récupération d’eau. J’ai fini par conserver chacun de leurs petits cadavres dans le formol. Ils reposent maintenant tous ensemble dans leur dernier bocal que j’ai installé sur une étagère, parmi ma ménagerie silencieuse du couloir.

lundi 30 novembre 2020

Lundi 30 novembre 2019. 20h10.

Amélie a emmené La Harpe à Coudeville chez Séverine pour le temps de notre tout petit séjour à Paris. Répondu à Macha qui me demandait mes propositions « poésie » pour janvier. Elle me parlait aussi des poèmes inédits de Moravia qui sortent en février chez Flammarion. Je l’avais vu dans les programmes. Je lui a glissé un mot sur le recueil de Jean-Jacques Marimbert, La boussole des rêves, qui sort ces jours-ci au Chat Polaire. Oh, nuit, dessine des ombres de joie. Souvenir,/ Éclat de rire au beau milieu d’un jour prochain./ Fais bouillonner mon sang gelé, console-moi.

Dimanche 29 novembre 2020. 19h00.

Je me suis réveillé podagre. Ma dernière crise remonte à quatre ans. J’avais oublié combien ça fait mal. Heureusement, il me restait des pilules bleues (périmées ?) au goût de sève amère qu’on m’avait prescrites à l’époque et qui m’avaient « guéri » en quelques jours. Passé une journée dolente et fatiguée.

Samedi 28 novembre 2020. 23h50.

Dîner chez Claudine et Patrick. Toute sortie devient un événement dans ces temps où chacun est censé ne pas sortir de chez soi. L’autre jour c’est Brigitte et Yann qui sont venus à la maison. J’avais cuisiné du lapin à la bière. A la flamande, si l’on veut. Une recette toute simple de ma grand mère Mamoÿ qui procédait de la même façon pour la carbonnade de bœuf. D’abord, dans une cocotte, saisir les morceaux de lapin dans un mélange huile/beurre, les réserver, puis faire revenir des oignons jusqu’à ce qu’ils soient bien roux. Les saupoudrer de farine et délayer avec de la bière. Poser les morceaux de lapin et recouvrir le tout avec la bière. Mettre du laurier, du thym, de l’ail haché. Laisser mijoter une heure. Ajouter une bonne dizaine de pruneaux et oublier à feu doux pendant (au moins) une heure encore. Penser à saler et de poivrer à chaque étape de la préparation (sur le lapin, les oignons, etc.). Vérifier l’assaisonnement. Ne mettre le foie et les rognons à cuire dans la sauce qu’un quart d’heure avant de servir. Ma grand-mère utilisait de la bière de ménage, je me suis servi de Chimay bleue. Tout le monde avait l’air content. J’étais ravi.

Vendredi 27 novembre 2020. 14h30.

Mon tout petit papier sur Pour plus de lumière, l’anthologie poétique « personnelle » de Charles Juliet a été coupé à la publication. A cause d’un encart publicitaire arrivé à la dernière minute. Je râle un peu. Déjà, la commande initiale avait été raccourcie. J’avais fait de la dentelle d’informations. D’impressions, de citations. Il me semblait qu’il y avait tant, tant à dire et que j’avais réussi à tout faire tenir en peu de mots. Je me raconte des histoires. Raphaëlle, j’imagine que c’est elle qui s’en est chargée, a mis les bons coups de ciseaux. Mon texte n’est pas massacré, loin de là. D’ailleurs, dans quelques jours, le journal sera à la corbeille ou emballera les épluchures. Alors, mon articulet… Mais je reste sottement maussade. Je me suis senti trop proche, sans doute, de ce livre. Ces mots qui se nouent dans le poème,/ je voudrais qu’ils s’effacent/ derrière le silence qu’ils sécrètent.

Jeudi 26 novembre 2020. 16h40.

J’ai pris rendez-vous avec Bruno Genevray la semaine prochaine. Il y a, je le crains, une petite intervention à programmer, suite à mes derniers examens. Il faut s’en occuper. Je devais le consulter il y a un mois, mais nous avions annulé à cause du « reconfinement ». Maintenant les règles semblent un peu assouplies. Nous irons donc à Paris mardi. Retour jeudi. Amélie pourra passer place Paul-Painlevé pour régler quelques bricoles. En attendant, courant décembre, je pense, de pouvoir reprendre le travail sur place.

Mercredi 25 novembre 2020. 18h00.

J’ai eu longuement Sylvie au téléphone. Je n’ai toujours pas été payé par le ville de Nice pour le dossier de presse du festival du Livre. Certes, pour des raisons de « sécurité sanitaire », le festival n’a pas eu lieu cette année (dire que j’étais invité cette fois-ci comme auteur…), mais de là à passer tout mon travail à la trappe. En fait, « on » a oublié de me faire signer un contrat. Ne t’inquiète pas, ça va s’arranger. N’empêche, j’aurais dû recevoir mes sous en août. Aujourd’hui, si tout se passe bien, ce ne sera pas avant fin janvier. Je tire la langue Les problèmes d’argent sont devenus envahissants. Ma demande de retraite serait, paraît-il, sur le point d’aboutir. Mais quand exactement ? Mystère. Et les estimations que j’ai pu décrocher, au téléphone, quant au montant n’étant pas vraiment réjouissantes, j’ai le sentiment qu’une fois cette histoire réglée, je ne serai pas pour autant serein. Heureusement qu’il me reste mes papiers au Monde.

Mardi 24 novembre 2020. 17h10.

J’ai déposé une (très modeste) enchère à une vente pour une jolie intaille ovale en pierre dure, rouge. Le catalogue indique qu’elle représente un personnage féminin d'après l'Antique. A y bien regarder (ancre marine, doigt levé vers le ciel) il s’agit plutôt une allégorie de l’Espérance. Et, pour le coup, j’espère bien l’emporter. Car j’ai perdu ma bague, celle que je portais à l’auriculaire de la main gauche depuis 1995. Je m’étais fait faire ce bijou pour mes quarante ans. Une petite pâte de verre gravée d’un profil de polichinelle posée sur l’alliance de mon grand-père Joseph. La pâte de verre, début XXe, venait d’une épingle de cravate que Bernadette avait trouvé dans une minuscule brocante maintenant disparue de la rue Saint-André-des-Arts, et qu’elle m’avait offerte l’année de mes vingt ans. L’alliance avait été aussi celle de mon très bref mariage avec Dominique. Symbolique à quatre sous d’un passé vraiment passé à l’époque, mais que je regardais alors avec une affectueuse distance. C’est que j’étais en plein milieu d'une période sentimentale, conjugale plutôt, compliquée, douloureuse. Je rêvais d’une autre vie. Et j’étais sûr que cette bague me serait le talisman qui me permettrait de traverser ces années, de sortir de ce purgatoire. Ca a été le cas. Durant tout ce temps que je l’ai portée, s’il y a eu quelques fois où je l’ai égarée, je l’ai toujours retrouvée. Cette fois, il a bien fallu que je l’admette, c’est fichu. Le pire, c’est qu’elle a glissé de mon doigt dans un supermarché. Je l’aurais perdu sur la plage, encore…

Lundi 23 novembre 2020. 19h40.

Cela fait un moment que je n’arrive pas à grand chose. Je me pousse. C’est tout. J’avais pourtant repris mon travail sur Chassignolles. Retrouvé des vieux papiers, quelques photos. J’avais appelé Nicolas aussi pour qu’il me guide un peu dans mes recherches historiques. Je n’ai en effet aucune idée de comment s’est passé l’exode des populations du Nord pendant la Grande Guerre. Et j’ignore si quelqu’un a écrit sur le sujet. Sur ses conseils, j’ai cherché un livre de Philippe Nivet qui enseigne, si j’ai bien compris, à Amiens. Mais l’ouvrage est épuisé depuis longtemps, introuvable d’occasion, et les bibliothèques sont fermées. C’est que nous sommes à nouveau « confinés » depuis la fin octobre. Toujours ce volatil virus venu de Chine qui continue de paralyser la vie des habitants de plus de la moitié de la planête. Tout est à l’arrêt. Sauf en Chine justement où, paraît-il, tout va bien. Ici, par contre, la radio matraque tous les jours des chiffres de morts et de contaminations. Il faut à nouveau s’affubler de masques et se signer à soi-même des autorisations de sortie. La folie. Le bon côté de l’histoire, c’est qu’Amélie est à Carolles, en attendant que passe « la vague », comme ils disent. Elle télétravaille. Moi, je ne travaille pas vraiment. En tout cas pas à la mesure de ce temps vide. J’ai écrit quelques papiers pour Le Monde des Livres (qui continue à paraître avec une pagination réduite). Un surtout, sur le très gros volume des derniers poèmes de Jean-Claude Pirotte. Cinq mille, inédits, rédigés en moins de deux ans, de 2012 à 2014. Il les a écrits dans ses dernières maisons : à Saint-Léger, à Namur. D’un jour l’autre, il ramene, rappele, tous ses souvenirs sensibles depuis le très loin de l’enfance jusqu’à l’à peine hier, jusqu’au présent de la maladie, jusqu’aux approches de la mort. C’est Sylvie qui s’est occupée de leur publication au Cherche Midi. Mémoire sauve. Elle m’a envoyé un très gentil message pour me remercier. Les journées filent. Je nourris Kiki, le chat de Mme Bassard, un matou errant qu’elle avait essayé d’adopter. Mais en vrai sauvage, il n’avait jamais mis une patte dans la maison, acceptant juste de se coucher sur le seuil. Déguerpissant dès que quelqu’un approchait. Mme Bassard est morte fin septembre. Elle s’est suicidée, à quatre-vingt-quatorze ans. Depuis le temps qu’elle répétait qu’elle en avait assez, qu’elle avait hâte d’aller au cimetière. Je n’y vois plus rien, je n’entends pas. A quoi ça sert de vivre ? Elle trottait pourtant tous les jours dans les chemins. Ne s’était résignée à raccrocher son vélo qu’en 2017 après la fois où elle avait heurté une voiture à l’arrêt. Ce jour-là, d’ailleurs, elle s’était mise en colère. Dire que ça aurait pu être mon heure. Raté ! Plus personne ne prêtait attention à ses litanies. A peine passé le bonjour, une rapide considération sur le temps qu’il faisait, voilà qu’elle vous entreprenait sur son désir de trépas. Je prie tous les soirs dans mon lit de ne pas me réveiller le lendemain. Le Bon Dieu ne m’écoute pas. Elle a attendu qu’il y ait chez elle ses filles, ses petites filles. Et elle s’est noyée, au tout petit matin, dans une baignoire abandonnée dans son jardin, remplie d’eau croupie. Cela fait longtemps, encore une fois, que j’ai laissé ce journal. Je le reprends comme poussé par une nécessité. Cet exercice quotidien d’écriture me donne la mesure, rythme le temps. Je suis perdu en ce moment. Comme Poucet, au début du conte, j’ai semé des miettes de pain pour marquer mon chemin. Les oiseaux les ont toutes mangées.

(…)

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Samedi 19 septembre 2020. 10h30.

J’ai soixante-cinq ans. En 2015, j’étais allé me cacher à Pise avec Amélie pour ne surtout pas fêter mon soixantième anniversaire. Et voilà que j’ai comme de la nostalgie de cet âge. Mon Dieu. Il va me falloir secouer toute cette saisissante stupeur. Comme cela va m’être difficile de ne pas simplement m’asseoir et rester immobile, les yeux vagues, perdus à regarder les années passer. Nous avons bu du champagne. Amélie m’a offert deux jolis pullovers de chez Berteil. Mon luxe. Avec les bottines Heschung et les vestes Hollington. Patric Hollington est mort fin janvier. Il avait quatre-vingt-trois ans. Je l’avais croisé la dernière fois dans la boutique un jour de soldes. Nous avions parlé d’écharpes anglaises de collège. J’en ai toujours une petite collection.

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