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vendredi 24 février 2012

Mardi 21 février 2012. 22h15.

J’ai retrouvé Amélie chez Péret. Un pichet de bordeaux, puis deux. J’ai repris des couleurs. Nous avons fini par dîner sur place. Parlé de mon livre qui, décidemment, ne démarre pas. Nous devons aller au début du mois prochain à L’isle-de-Noé, dans le Gers chez ma belle-sœur Noëlle. Il faut que je récupère dans les affaires de mon frère Jean un certain nombre de documents sur mon père. Des notes, des lettres, des photographies. J’en ai besoin pour accrocher mes mots. Sinon ils s’effondrent. Mon texte ne tient pas. Je ne connais rien de sa vie, en fait, et personne ne peut plus rien m’en dire. Du tout. Alors, je dois tenter de me glisser dans la moindre défroque, dans la plus petite émotion accessible. Je recherche une histoire qui ressemble à celle que j’imaginais de lui, enfant. Racontée aujourd’hui par l’enfant vieilli que je suis devenu. Que c’est difficile. Je n’ai pas osé écrire à Jean-Marc pour lui dire que je m’égare depuis des mois autour du point mort. Car c’est bien d’une affaire de cadavre dont il s’agit. Je tourne autour du tombeau. J’ai différé ce voyage à cause de la disparition de Jean, de ma maladie et de mon opération, de l’accident qui m’a cloué à la maison. Et puis, j’avais appris que Noëlle avait eu aussi des soucis de santé. Alors…

Mardi 21 février 2012. 18h50.

Trois rendez-vous chez les médecins aujourd’hui. J’avais déjà débuté mes consultations la semaine dernière. Je me balade chez les uns, chez les autres avec ma petite liasse de résultats d’analyses. Pas fameux, m’a fait le chirugien qui m’a opéré en novembre 2010. Il faut surveiller ça de près. Et moi qui croyait que tout allait bien. Rendez-vous dans trois mois. C’est 80 €. Je suis désolé, bon courage. Oh, ça ne va pas recommencer…

mercredi 22 février 2012

Lundi 20 février 2012. 23h20.

Il a fait si beau. J’ai rempli les mangeoires des oiseaux (on aurait dit qu’ils attendaient. Des rafales de mésanges et de rouges-gorges se sont abattues sur les graines et les pains de graisse), nettoyé les allées. J’ai effleuré les feuilles rouges, toutes neuves, aux branches des rosiers. Et puis nous avons rassemblé les affaires pour partir. Jean-Pascal et Agathe nous ont accompagnés à Granville. Nous avons laissé la voiture à la maison. C’est carnaval en ce moment et le parking de la gare est envahi de manèges. Comme il y a les cavalcades, les batailles de confettis, que sais-je encore, toutes les rues sont hérissées de panneaux de stationnement interdit. Je déteste les fêtes foraines. Je trouve cela empli d’une écoeurante émotion. Tout me semble envahi de tristesse sale. J’éprouvais déjà cette sensation enfant, à la Saint-Rieul, à Senlis. Quant au carnaval… Ces festivités ne plaisent pas beaucoup à Agathe non plus. Je m’entends bien avec cette petite fille. Elle a l’âge de Camille. Enfin presque. Demain, Camille aura onze ans. Elle grandit, ma nièce. Camille, Victoria, Valentine. Elles me manquent ces gamines. Et Apolline. Comme le temps file et comme il va filer. En prenant dans mes bras, au Mexique, ma si petite filleule, j’avais réalisé que j’aurai soixante-seize ans l’année de ses vingt ans. Fichus manèges… Jean-Pascal m’a arraché à mes idées noires. On vient vous chercher au train vendredi prochain ?

mardi 21 février 2012

Lundi 20 février 2012. 9h20.

Courte nuit. J’ai terminé tard ce matin mon portrait de Rezvani pour Le Monde. Je m’y suis mis encore une fois à la dernière minute. J’ai vraiment du mal à faire autrement. Mi-janvier, à Caen, j’étais invité à parler devant des lycéens qui avaient sélectionné La fausse porte pour un prix littéraire. Comment écrivez-vous ?, m’avaient-ils demandé. Que ce soit pour mes papiers ou pour les livres : en retard, toujours en retard. Ou plutôt à l’extrême limite du faisable. Du possible. Je leur ai parlé de la dissertation qu’on doit rendre le lundi et qu’on repousse jusqu’au dimanche soir. Ca les a fait rire. Je ne suis pas sûr d’en rire autant qu’eux. Parce que je ne profite pas du moment qui précède. Ce temps se moisit d’inquiétude et d’inaction. J’avais vu Rezvani au début du mois, chez lui à Paris, près de la place Blanche. Il venait de publier aux Belles Lettres, Ultime amour, une nouvelle « séquence » intime où il revient sur l’horreur des derniers moments de Lula, sa compagne pendant cinquante ans, morte en 2004, et où il raconte l’improbable renaissance amoureuse qu’a été sa rencontre avec Marie-José Nat. A bientôt quatre-vingt-quatre ans, il est étonnant de fougue et de douceur mêlées. Il n’était sans doute pas allé jusqu’au bout de sa chronique des années obscures (L’éclipse) où il racontait comment sa Lula s’était enfoncée sans rémission dans l’effroyable absence de la maladie d’Alzheimer. Il lui fallait parler aussi de la violence, des humiliations, des lâchetés. Ultime amour est un impitoyable réquisitoire contre les profiteurs, les prédateurs du malheur. Ces « braves gens » auxquels on se soumet faute de pouvoir affronter seul la situation et qui se révèlent d’inquiétants voleurs. Ces voisins, ces amis qui vous abandonnent, ou pire, parmi ceux qu’on imaginait les plus fidèles, qui s’emparent de votre désarroi. On ne lui a rien pardonné. Ni un roman vengeur (Le dresseur) qu’il avait rageusement rédigé à l’époque pour laver le poison des jours. Ni, non plus, son amour salvateur pour Marie-José Nat. J’en sais qui n’ont pas compris que je ne me suicide pas, m'a-t-il dit. Je suis sorti de la rencontre bouleversé. Pas simple de l’écrire en 5000 signes.

lundi 20 février 2012

Dimanche 19 février 2012. 15h50.

Il faisait un grand ciel bleu. Georgette est venue à la maison manger quelques huîtres. C’est ma première sortie de l’hiver. Elle est finalement restée déjeuner avec nous. Un lieu jaune au four, quelques rattes avec une noix de beurre frais.

Samedi 18 février 2012. 23h40.

Nous avons ramené de Granville un petit bouquet pour Georgette. Acheté à une petite dame du marché couvert. Camélias, Hellébores, minuscules narcisses. Un vrai bouquet de cet entre-saison. Sur le chemin de la maison, nous nous sommes arrêtés chez Monique et Jean-Marie. Monique vient de se faire opérer de la gorge à Rennes la semaine dernière. Une intervention compliquée. Elle est fatiguée, encore un peu marquée, mais elle a bon moral. Elle bavarde, elle plaisante. Je l’admire. Mes soucis de santé, moi, m’ont jeté à bas. Il n’est pas une journée que ne me traverse, juste un instant, l’angoisse. Chez eux, il y avait Cécile et Jean-Claude. La conversation a glissé sur de tout petits riens. Nous n’avons même pas parlé politique municipale. Après le grand bazar des présidentielles, des législatives, nos élections carollaises vont arriver très vite. 2014, c’est à peine après-demain. Il est temps, à notre échelle, que ça change. Jean-Marie devrait se présenter. J’espère… Nous avons fait une longue promenade avec Martine, Agathe et Jean-Pascal jusqu’au port du Lude. Marée haute. J’ai eu l’impression que je n’étais pas venu là depuis une éternité. Et c’est sans doute assez vrai… Nous nous sommes retrouvés tous ensemble un peu plus tard à la maison. Annick et Norbert nous ont rejoint pour le dîner « d’inauguration » de notre nouvelle cuisine. Les travaux ne sont finis que depuis une dizaine de jours. Les peintures sont refaites. Thierry Giffard a fabriqué des meubles et un grand plan de travail en frêne où Franck a encastré un nouvel évier, de nouvelles plaques de cuisson. Il a posé un nouveau four, installé de nouvelles prises de courant, de nouveaux éclairages. Bref, tout est neuf et nous ne sommes pas peu fiers parce que tout cela est vraiment beau.

Vendredi 17 février 2012. 19h10.

Nous avons rencontré Jean-Pascal au marché de Jullouville. On achetait trois fois rien pour notre déjeuner. Une scarole, un gros radis noir. Un paquet de couteaux chez le poissonnier, à servir, sautés aux échalotes et au persil, avec des pâtes. De belles tranches de jambon à l’os. Il est seul à Coquelonde avec Agathe. Martine devrait arriver tard ce soir. Vous venez partager ça avec nous ce midi ? Passés embrasser Georgette. Balade sur la falaise. Le brouillard s’accrochait aux ajoncs. On n’y voyait pas à dix mètres.

Vendredi 17 février 2012. 9h00.

J’ai commencé par prendre du retard, entassant mes notes pour plus tard, puis j’ai jeté tous ces petits bouts de papier, me sentant incapable de reprendre le temps là où je l’avais laissé. Plus de trois mois que je n’ai pas écrit une seule ligne dans mon journal. Je me suis efforcé pourtant, à de nombreuses reprises, mais à peine je commençais à rassembler les moments que tout s’effondrait. Je glissais aux parois d’un profond entonnoir, happé par le fond. Une seule solution pour ne pas se laisser emporter dans la chute : ne plus bouger. Ne plus bouger du tout. Je suis resté si longtemps immobile. Pris dans la terreur du moindre mouvement. Qu’est-ce donc qui change aujourd’hui ? Je ne sais pas. Je me remets en marche, voilà tout. Hier soir, j’ai été chercher Amélie à son bureau, place Paul-Painlevé. Nous sommes allés au cinéma. Là aussi, cela faisait un moment. Ils passaient La grande illusion au Champo. Une copie restaurée à partir d’un négatif retrouvé à la cinémathèque de Toulouse. J’en avais parlé le matin avec les étudiants. Ca ne leur évoquait pas grand chose. La première fois que j’avais vu ce film, c’était justement à Censier, pendant ma première année de Lettres modernes (je n’en ai jamais fait de deuxième…). J’avais pris une U.V. sur le cinéma de Jean Renoir, sans doute la seule que j’ai jamais validée. J’ai détesté mon passage à la fac. Jongler avec des emplois du temps impossibles, cavaler d’une salle à une autre, s’entasser dans des amphis bondés pour entendre pontifier sur Genette, la narratologie, la transtextualité… J’y pense à chaque fois que j’entre en cours. J’aime bien mes étudiants aussi à cause de cela : je les trouve courageux. La dernière scène de La grande illusion m’est toujours restée en mémoire. Ce moment où Gabin et Dalio, petits personnages perdus dans l’immensité, traversent la vallée recouverte de neige. Une patrouille allemande les repère. Un des soldats s’apprête à tirer. Un autre l’arrête : Sie sind in der Schweiz . Où est la frontière au milieu de tout ce blanc ? En ce moment, j’aurais plutôt besoin de repères. Pas bien sûr d’avancer dans la bonne direction. Tout à l’heure nous serons à Carolles. Je n’ai pas cessé de penser au jardin toute la semaine. Le froid est terminé. Les narcisses et les jonquilles commencent juste à pointer leur nez. Il faut nettoyer pour le printemps qui vient. Ramasser les dernières feuilles, couper les branches mortes. Préparer les plates-bandes. Et bientôt tailler les rosiers.

(...)

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dimanche 4 décembre 2011

Jeudi 10 novembre 2011. 23h40.

Ecriture de brèves avec les étudiants. Je rabache le message essentiel. Qui ?, Quoi ?, Où ?, Quand ?, Comment ?, Pourquoi ?. J’ai choisi pour les faire travailler des papiers qui (c’est le moins qu’on puisse dire) ne risquent pas d’éveiller leur imagination. Un indigeste exposé sur la circulation dans les couloirs de bus à Paris et le compte rendu du conseil municipal d’un village de Champagne. Ils s’appliquent. Je les trouve bien patients. Passé chez Caractères. A cause de mes soucis de santé de la fin de l’année dernière et du printemps, l’édition des œuvres complètes de Bruno Durocher a pris énormément de retard. Il s’agit de boucler le premier volume, celui de la poésie, avant Noël. J’ai déjeuné avec Nicole chez Lucia, l’italien de la rue de l’Arbalète. Nous avons fait un point. La maquette, la nouvelle postface qu’elle a commandée à un universitaire belge, les relectures. Nous devrions être dans les temps. Je suis passé en coup de vent à la maison récupérer la valise. Retrouvé Amélie à la gare Montparnasse. Marie vient demain passer le week-end à Carolles. Je sais bien qu’elle n’aime pas que je parle d’elle, mais ça faisait si longtemps.

Mercredi 9 novembre 2011. 21h10.

J’ai préparé mes cours pour Censier. Au terme d’un interminable marathon de paperasses, j’ai obtenu (semble-t-il…) l’autorisation d’enseigner à nouveau cette année. J’avais bien cru que je ne retrouverai plus les étudiants. J’en aurais été vraiment triste. Vraiment. La relation qui se tisse avec eux m’est essentielle. Ils m’aident à rester en éveil, à faire attention aux mots qui passent. De cela je ne leur serai jamais assez reconnaissant. J’ai écrit un mot à Apolline. J’ai tant de choses à lui raconter à cette petite. Pas le temps d’attendre qu’elle sache lire. Aujourd’hui, elle a une semaine et un jour.

Mardi 8 novembre 2011. 23h50.

J’ai reçu, de Bombay, une photo d’Anita. Elle a été prise par Pierre Péan lors d’un des piques-niques de bord de mer organisé par son association pour les enfants du bidonville de Malad. Elle a bien grandi, dit-il simplement. Cela fera dix ans en 2012 que je j’étais allé là-bas en reportage et que j’avais parrainé cette toute petite fille. Quelle rencontre. Dans la nuée de gamins qui nous entouraient, elle m’avait attrapé la main, dès le premier jour, et elle ne l’avait plus lâchée. Tous les matins, elle attendait. Et moi, je guettais sa frimousse. Il ne doit plus rien rester de la somme d’argent que j’avais laissé pour elle à mon départ… Sur le cliché, elle pose en sari rouge, le regard sérieux. Sans sourire. Elle doit avoir treize ou quatorze ans. Que devenez-vous ?, me demande Pierre. Déjeuné avec Christophe dans une brasserie de la Porte d’Orléans. Il y vient en voisin. Bayard est maintenant installé juste de l’autre côté du boulevard périphérique. Nous avons bavardé un long moment. De Pèlerin et des papiers que je pourrais à nouveau y proposer, des buts de l’association des Ecrivains croyants qu’il préside, de ses deux jumeaux Madeleine et Louis nés en juin… Passé la soirée seul avec mes lectures en retard. Elodie, Marianne, Anne-Gaëlle, Catherine, Caroline invitaient Amélie pour son anniversaire à un dîner « surprise » au Baratin, le bistrot de la rue Jouye-Rouve dans le XXe. J’étais complice (honteux) de la soirée. Coup monté et mensonges. Elle en est revenue ravie. Mais en ce qui me concerne, pitié, qu’on ne me prépare jamais de ces amicales embuscades…

dimanche 20 novembre 2011

Lundi 7 novembre 2011. 20h00.

Déjeuner avec Pierre Drachline au Rousseau, rue du Cherche-Midi. C’était la première fois que j’y mettais les pieds. Je ne vois pas très bien pourquoi le malheureux Jean-Jacques a donné son nom à cet endroit de genre assez indéfinissable avec ses rayonnages de livres au mètre, censés apporter à la décoration clinquante de la salle une touche « cultivée ». Je me souviens que cela a dû ouvrir en 2002 ou 2003 à la place de la Taverne basque, un restaurant qu’on aurait cru en province et que je fréquentais souvent lorsque j’étais à Point de Vue. Nous avons parlé de l’édition, des temps qui ont changé. De Jean-Claude Pirotte aussi. Ebauché quelques projets. J’ai rejoint Amélie pour un café avec Nicolas au Sauvignon. Je suis rentré en marchant doucement jusqu'à la maison. Les trottoirs de la rue Emile-Richard, entre les deux cimetières Montparnasse, étaient recouverts d’une épaisse couche de feuilles mortes des platanes. Les pas s’y enfonçaient. J’ai avancé en traînant les pieds. Recouvrant mes chaussures. Gauche, droite. Jusqu’à ce que je croise quelqu’un.

Dimanche 6 Novembre 2011. 23h50.

Travail en retard. J’ai toujours deux papiers à rendre au Monde. Et je dois refaire un point avec Aude Lancelin pour mes propositions à Marianne. Je peine. Nous avons rangé la maison. Sommes passés dire au revoir à Georgette. Vous revenez quand ? Je vais le noter. Je perds la tête. A force de jours qui se ressemblent, ses repères s’estompent. Mais surtout, elle s’ennuie. Doucement, lentement. Le train à Granville en fin d’après-midi. Problèmes de signalisation à Villedieu. Panne de motrice un peu plus loin. Nous sommes arrivés avec deux heures de retard.

Samedi 5 novembre 2011. 22h00.

J’ai commencé à regarder les titres de la rentrée de janvier-février. Chez Actes Sud, il y a un nouveau roman de Jean-Yves Cendrey, Mélancolie vandale, qui suit, semble-t-il, sa veine « berlinoise », commencée en 2009 avec Honecker 21. J’ai juste vu les quelques lignes du prière d’insérer, mais j’ai très envie de lire cette histoire qui apparaît foutraque, férocement désespérée. Celle d’une femme de cinquante ans perdue dans une vie et dans une ville où rien ne se reconnaît, où tout vaut son contraire. Berlin où je n’irai probablement jamais est sans doute notre centre du monde. Le centre, aujourd’hui, de notre monde ancien. L’histoire s’y est engloutie. Nous avec. Isabelle et Fabien sont venus dîner à la maison. Avec Pauline qui va sur ses six mois et qui a lutté contre le sommeil toute la soirée. Sans pleurer ou à peine.

mardi 15 novembre 2011

Vendredi 4 novembre 2011. 23h50.

J’ai jardiné. Enfin, plutôt, j’ai ratissé les feuilles au jardin. Occupation d’automne. Le figuier et la vigne vierge sont presque complètement dépouillés. Le frène perd ses folioles dorées, en rafale, au moindre coup de vent. Dîner chez Monique et Jean-Marie. Il y avait là Annie et Michel, Xavier et Anna, Yves et Nathalie. Nous avons parlé de Carolles, évidemment. De ce qu’il faut préserver, sauvegarder. Depuis dix ans, la commune a pas mal souffert. On aurait pu croire, une fois la frange littorale préservée, ce qui a été le long combat de ma mère et de son association de défense de la vallée du Lude, que le même souci d’intégrité allait s’étendre au village. C’est tout le contraire qui s’est produit. On a commencé à lotir. A édifier, dans les vergers, dans les bocages, des maisons sans charme. Frénésie pavillonaire. Plutôt que de réhabiliter les bâtiments de granit des écoles, on a préféré construire, face à la mairie, un groupe scolaire tout neuf. Affligeant de laideur banale. On a créé des parkings, étalé des hectares de goudron, modifié les carrefours, posé un peu partout des bancs en plastique et béton, aligné dans les rues d’inutiles lampadaires rouges et semé deci delà du « mobilier urbain ». Je ne parle pas des projets d’un centre commercial ou d’un nouveau camping qui serait aussi « aire de loisirs ». Je l’ai dit cent fois déjà. Je me répète. Je m’énerve tout seul. Ils « aménagent », et voilà que Carolles ne ressemble plus à rien. Ou plutôt (mais c’est la même chose…) que Carolles devient semblable à n’importe quelle autre commune de ce qui finit par apparaître, du Nord au Sud, comme le grand programme d’enlaidissement national concerté. Enfin… Yves a récemment acheté la villa Mariquita tout au bout de la route de la Croix-Paquerey. Les anciens propriétaires lui ont demandé de la débaptiser. Il a dit oui, mais s’en veut un peu. Drôle de pacte. Comme s’il avait accepté d’ôter l’âme de la maison.

Vendredi 4 novembre 2011. 12h10.

Nous avons accompagné Claire et Emmanuel à Rennes pour l’avion du retour. Pas de grands adieux. Aucun d’entre nous n’est du genre expansif. Mais nous étions chacun discrètement émus. Ces huit jours ensemble ont passé tellement vite. A bientôt... Oui, à bientôt.

Jeudi 3 novembre 2011. 20h40.

Marché à Saint-Pair. Au stand d’Eric, nous avons acheté des encornets, des coquilles pour le dernier dîner ensemble. Claire et Emmanuel ont passé la journée à Saint-Jean-des-champs chez Cathy et Etienne. Début de soirée avec Georgette. Elle a mangé quelques huîtres, bu un peu de muscadet. Vous avez eu de la chance avec le temps, a-t-elle dit aux parents d’Amélie. Ce n’est pas comme chez vous, dans le Midi. En ce moment, là-bas, il paraît qu’il pleut tout le temps.

Mercredi 2 novembre 2011. 22h50.

Deux jours que ça traîne : trop mal au pied. J’ai fini par consulter le médecin. Maintenant que je suis obligé de fréquenter les cabinets des spécialistes, je me rends presque avec insouciance chez le généraliste. Presque... Enfin, Mme Chevalier est gentille. Quand elle me prend la tension, elle a la délicatesse de garder le chiffre pour elle. Quand j’appuie là ? Et là ? Elle m’a prescrit des anti-inflammatoires. Ca devrait passer dans quelques jours. Temps gris. Menace de pluie. Mais je voulais montrer le Nord du département aux parents d’Amélie. On se risque ? Nous nous sommes entassés dans la Twingo. Pas une goutte de tout l’après-midi, mais au bout du compte, après avoir déjeuné à Blainville, face à la mer (huîtres, praires, langoustines, tourteaux…) nous aurons fait beaucoup, beaucoup de voiture. Passés par Portbail, Barneville-Carteret, Flamanville pour juste atteindre Biville. Promenade rapide dans les dunes, sur la falaise. Le nez de Jobourg, tout proche, disparaissait dans la brume. Il était déjà l’heure de rentrer. Je fais un piètre guide. J’aurais voulu qu’ils voient le cap de la Hague, Port-Racine, Omonville-la-Rogue… Une prochaine fois. Nous avions invité Monique et Jean-Marie à prendre un verre à la maison. La soirée s’est prolongée en pique-nique. Des mois que nous n’avions pas passé un moment ensemble.

Mardi 1er novembre 2011. 23h40.

Champagne ! Nous avons débouché les bouteilles les unes après les autres. Interminablement bavardé, causé, discuté, parlé. Eclats de rire, larmes aux yeux. Je n’ai pourtant osé dire à personne combien je m’étais senti heureux et soulagé d’avoir été seul quand j’ai appris la nouvelle. D’avoir eu ce privilège de la garder pour moi quelques minutes avant d’envoyer le message qui allait la partager. Depuis ce dimanche de juin où Virginie et Marcus m’ont demandé d’être parrain, j’attendais cet instant. Elle est minuscule Apolline, à ses quelques heures. Deux kilos et demi, quarante-sept centimètres. Mais déjà sa petite main a agrippé la mienne. Elle me remet sur le chemin.

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