J’ai écrit finalement à Jean-Jacques Rousseau. Je dois me rendre en juin à Chambéry pour les vingt-cinq ans du festival du premier roman et Véronique Bourlon, la directrice, a demandé aux auteurs, de rédiger une lettre au philosophe. C’est une histoire de télescopage d’anniversaires : les vingt-cinq ans du festival, le tri-centenaire de la naissance de Rousseau… J’ai trouvé que c’était une drôle d’idée. Et puis pourquoi pas ? Je n’ai rien à refuser, rien du tout, aux gens de Chambéry. Je garde une infinie reconnaissance d’avoir été invité en 2004 pour La ballade de Lola. Ces quelques jours que j’ai passés là-bas, à l’époque, en débats, en recontres avec des lecteurs, m’ont été essentiels. Ils m’ont donné confiance. M’ont permis de continuer. J’ai quand même trainé à me mettre à cette fichue lettre. Non que, très loin de là, Rousseau m’indiffère. Les rêveries et Les confessions ont chamboulé mon adolescence. Ces livres ne m’ont jamais quitté. Mais écrire à Rousseau… Je me suis souvenu des Charmettes où, justement en 2004, les organisateurs avaient emmené, le dernier jour, leur petite bande de premiers romanciers. Il y avait eu des discours et puis un vin d’honneur. Et une photo de groupe. Nous avions visité la maison, fait le tour des pièces. Le salon de musique, les chambres à l’étage. Cela m’avait semblé désespérant de vide. Plus de traces, plus d’instants. Rien n’habitait les murs. Tout était nettoyé. J’avais fui dans le jardin. Les allées aux parterres bordés de buis, le muret de pierres, la vue sur les montagnes. Comme un enfant se calme d’un gros chagrin, j’avais retrouvé doucemement un peu de proximité. J’ai emporté dans mon mouchoir, ce jour-là, des Charmettes, une poignée de pervenches, tiges et racines. Je les ai replantées à Carolles. Aujourd’hui, elle couvrent tout le bas de la haie. C’est cela que j’ai essayé de raconter. Je ne sais pas bien si c'est ce qu'ils attendent ou si ça leur plaira… J’ai envoyé mon choix à Denis Westhoff pour le prix Sagan : Un éclat minuscule de Jean-Baptiste Gendarme. Rien que le titre déjà de ce roman en brisures de souvenirs, lentement triste et douloureux, me semble le désigner pour la sélection. J'espère bien le défendre. Continué le travail, jusque tard, chez Caractères.