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vendredi 5 avril 2019

Dimanche 31 mars 2019. 19h30.

Le papier est terminé. Je l’ai envoyé à Alice. J’ai emmené la chienne faire un grand tour. Sur la falaise, la prairie commence à monter. Elle s’y jette, fait des bonds, disparaît, elle me rejoint par où je ne l’attends pas. Elle avait vraiment besoin de cavaler. Et moi de prendre l’air.

Samedi 30 mars 2019. 23h20.

Je le savais, mais s’y replonger… Quelle existence que celle d’André Baillon, cet écrivain belge qui a connu un temps le succès en France avant d’être bien oublié. Si ses livres ont commencé à être republiés à partir des années 1970, peu de gens le connaissent. Il a fait de sa vie un roman. Et d'ailleurs, c'est ce qu'elle est. Un roman plutôt triste. Même désespéré. Il est né en 1875 à Anvers, et perd son père à un mois, sa mère à six ans. On le fait élever par une vieille tante autoritaire et bigote. Séparé de son frère aîné, il est envoyé dans des pensions religieuses et en sort révolté et fragile. Il se fait mettre à la porte de l’université parce qu’il fréquente ostensiblement une prostituée avec qui il finira par se mettre en ménage. Tous les deux mèneront la vie de patachon (il dilapide à toute vitesse son héritage) avant qu’il ne tente de se suicider (une première fois. Il recommencera.). Il finit par épouser une autre prostituée, plus maternelle, et tombera éperdument amoureux d’une pianiste. Quittera l’une pour retrouver l’autre, et vivra (à Bruxelles, à Paris) finalement un peu avec les deux. Il déraille vraiment Baillon. Il commence à éprouver des sentiments coupables pour la fille de sa pianiste (dame, elle grandit, elle a maintenant seize ans). Il est interné à la Salpétrière. L’attend encore une grande passion avec une jeune poétesse et romancière (elle a vingt ans de moins que lui) et finit par se suicider pour de bon, à 56 ans, en 1932, en s’avalant des barbituriques. Tous ses livres ressassent son parcours biographique, ses malheurs biographiques. Il cherche, fouille, gratte en lui-même, dissèque sa mémoire et ses chairs. Et va plus profond encore. Il extirpe ses angoisses, ses manies, ses délires. Sa folie douce, sa folie aigre, car il est fou comme un bourdon et malheureux comme les pierres. Si finalement il invente (s’il se fait simulateur de lui-même) c’est pour être plus crédible. Pour faire vrai, se sentir vrai. Son œuvre, une dizaine de livres, est unique. Pas d’autre mot que cela. J’ai rattrappé un peu le temps perdu. Je commence à tenir mon papier. Nous nous sommes téléphonés plusieurs fois dans la journée, Amélie et moi. Elle est très occupée avec son festival Quais du polar. Il fait beau à Lyon me dit-elle. Ici aussi. Très beau. Mais je n’ai pas mis le nez dehors.

Vendredi 29 mars 2019. 15h50.

Je me suis mis au papier sur Baillon. J’ai vraiment du travail. Toutes les lectures que j’ai faites jusqu’ici ne me servent en effet pas à grand chose. Je n’ai pas pris de notes. Il faut que j’y retourne.

Jeudi 28 mars 2019. 13h20.

Train tôt. J’ai récupéré la chienne boueuse et heureuse.

Mercredi 27 mars 2019. 22h10.

Rangements, courrier. J’ai flâné dans Paris. Pris un café avec Marc en terrasse au Buci. Parlé de mes malheurs d’édition. Quand quelque chose m’accable, je reste sans bouger. Incapable de rien faire. J’avais un rendez-vous pour un examen des yeux dans un laboratoire spécialisé. Je n’y vois presque plus du côté droit. Il va falloir m’opérer. J’ai l’impression d’être un vieux vêtement qui craque à côté des dernièrs racommodages. J’ai traîné pour y aller. Fait tout un tas de petits détours. Le pont Neuf, la place Dauphine. Je suis entré dans Saint-Germain-l’Auxerrois. En 1973, 1974, j’avais dix-huit ans, je venais d’entrer à la fac. Je vivais depuis quelques mois, rue de l’Arbre-sec, avec Bernadette, ma prof de français de première. Je ne devais pas être si à l’aise que ça de l’aventure. Enfin, c’était compliqué. J’avais voulu aller me confesser. Le prêtre, à Saint-Germain, m’avait refusé l’absolution. J’en étais sorti étrangement libéré. J’avais fait un choix, et je m’en portais bien. Notre histoire a duré deux bonnes années. Je n’avais pas mis les pieds dans cette église depuis. J’ai cherché à retrouver le confessionnal. J’en ai vu un mais il ne m’évoquait pas de souvenirs. J’ai traversé le Louvre. Je suis resté un moment au Palais-Royal, les galeries, le jardin. J’ai fini en remontant le passage Vérot-Dodat. J’étais pile à l’heure au centre d’examens. En sortant, je suis entré chez Delamain. Vu un exemplaire du Raphaël de Lamartine. L’édition originale de 1849. Avec un envoi autographe. Hors de prix… J’ai marché jusqu’au Luxembourg. Et j’ai attendu Amélie au Rostand en faisant, à nouveau, un peu de courrier.

Mardi 26 mars 2019. 23h00.

J’ai déposé La Harpe à L’arche de Léo. Séparation joyeuse. C’est vraiment les vacances pour elle quand elle arrive là-bas. J’ai relu Délires d’André Baillon dans le train. Je dois le papier à Alice pour la fin du mois. Voyage pénible. J’ai de plus en plus mal au dos. Et je m’inquiète. Je gamberge. Mi-février, j’ai fait ma tournée des médecins et mes analyses n’étaient pas terribles. Le taux de je ne sais pas quoi était vraiment beaucoup trop élevé. Vous n’avez pas mal aux reins ?, m’a-t-on demandé. – Ben non, enfin je ne sais pas. Et là je m’interroge. Ai-je mal au dos ou mal aux reins ? Amélie rentrait de son pilates. Elle m’attendait à l’arrivée.

Lundi 25 mars 2019. 19h40.

J’ai reçu un message de Jacques pour le jury du prix Printemps du roman de la ville de Saint-Louis. La réunion de délibération est prévue le 13 avril à midi au Bistrot de Paris. Je ne sais pas si je pourrais y aller. Ce n’est pas bien sûr. Je n’y ai pas assisté depuis au moins deux ans. En 2018, nous étions à Chassignolles pour le centenaire de la naissance de ma mère. Malgré mon absence, j’avais été content, cette fois-là, de pouvoir donner un coup de pouce aux Hommes de Richard Morgiève. Comme je l’avais fait en 2012 pour La confusion des peines de Laurence Tardieu. Ce prix est le seul où je me maintiens encore. Là, j’y amène François, roman de François Taillandier (Serez-vous des nôtres ? d’Emmanuelle Pagano, l’autre titre que j’avais présenté, ayant été écarté à la première sélection).

lundi 25 mars 2019

Dimanche 24 mars 2019. 20h30.

J’ai déposé Amélie à la piscine de Granville où elle suit des cours de gymnastique aquatique sportive. Tu devrais venir avec moi, au moins pour nager. Elle a raison, mais pour nager seulement. D’autant que mon mal de dos ne passe pas. Une prochaine fois ? J’ai été promener la chienne sur le port. Je suis passé chez le pépiniériste acheter un plant de genêt des teinturiers pour Cathie et Etienne chez qui nous étions invités à déjeuner. Ils font comme toujours assaut de gentillesse. Nous remplissent les assiettes et les verres malgré nos protestations. Allons, allons… Ambiance de famille. Tu reviens dimanche !, m’a dit Etienne quand il a su que j’étais tout seul le week-end prochain. Amélie sera à Lyon pour le festival Quai du polar. Et la semaine suivante à Metz.

Samedi 23 mars 2019. 23h00.

Nous sommes allés faire courir la chienne sur la plage. Je n’arrive toujours pas à travailler. Je me tiens comme entre parenthèses. Je me suis forcé à m’occuper un peu du jardin. Rempli les mangeoires des oiseaux. Brigitte et Yann sont venus dîner. Ils sont rentrés hier soir de Marrakech. Contents de leur séjour. Visiblement, leurs histoires immobilières s’arrangent. Tout n’est pas encore réglé mais ils ont bon espoir. J’avais fait rôtir un poulet au four. Doré. Fondant. Réussi pour une fois.

Vendredi 22 mars 2019. 14h30.

Marché à Jullouville. Le casino a rouvert sa terrasse. Nous avons pris un verre au soleil, face à la mer. Une bande de brume laiteuse tranchait sur l’horizon tout bleu.

Jeudi 21 mars 2019. 20h20.

J’ai téléphoné à la caisse de retraite. Je ne vois plus en effet comment, à très court terme, je vais pouvoir boucler mon budget. La personne au bout du fil m’a confirmé que j’avais droit de la demander. Mais, je crois qu’en ce moment rien n’est simple, il semble que plus de dix années de ma « carrière » n’aient pas été prises en compte. Elle va m’envoyer un relevé. A charge pour moi de retrouver les documents qui prouvent que j’ai bien cotisé dans ces périodes manquantes. Je ne suis pas sorti d’affaire. Bonjour, nouvelle inquiétude… Avant d’aller chercher Amélie à la gare, j’ai fait un grand ménage (ces trois derniers jours, j’ai tout laissé aller et la maison étouffe sous le désordre). Courses aussi. J’ai acheté du saumon et du haddock pour un tartare. Préparé une salade de fenouil et brocolis émincés, persil en feuilles et pistaches. Le temps est toujours au beau.

Mercredi 20 mars 2019. 16h40.

Reçu la confirmation écrite (par courriel) du refus d’hier. Elle précise que puisqu’il ne veut pas du manuscrit, il m’abandonne mon à-valoir, mais qu’en cas de reprise par un autre éditeur, l’usage veut que la somme que j’ai reçue soit remboursée en tout ou partie par ce dernier. Ce que j’en comprends aujourd’hui, c’est que cela bloque mon texte. J’ai passé quelques coups de fil. On me dit de ne pas m’en faire, que c’est purement formel. N’empêche.

Mardi 19 mars 2019. 21h15.

Maman aurait 101 ans aujourd’hui, jour de la saint Joseph. Je suis allé au cimetière. La tombe est dans un état épouvantable. J’en suis reparti tout honteux. Coup de fil de Manuel Carcassonne au retour. Il a reçu ma lettre malgré que la Poste la considère toujours en vadrouille. L'échange n’a pas duré très longtemps. Il refuse le manuscrit. Ses explications ne sont pas forcément extrèmement claires. C’est un ensemble, en fait. Elle tiendraient plutôt dans la formule de circonstance : Votre texte ne correspond pas à la ligne éditoriale que défend notre maison... Il me dit que l’édition a bien changé depuis que j’ai signé le contrat du livre. Et que d’ailleurs, ce contrat, ce n’est pas lui qui l’a signé avec moi… Bon, je m’y attendais un peu après notre rencontre du 7 mars. Mais quand même. Quelle ironie. Le temps dehors était magnifique. Je suis allé au jardin. J’ai installé sur la terrasse les grandes jardinières achetées la semaine dernière. Je les ai remplies de terreau et je suis allé chez Hue à Saint-Pair chercher quelques plants d’aromatiques et de condimentaires. Persil, coriandre, thym. Mal au dos, encore, en fin de journée. Plein le dos…

Lundi 18 mars 2019. 20h30.

J’ai reçu sur le répondeur un message de Manuel Carcassonne. Il veut me parler. Demain.

Lundi 18 mars 2019. 19h30.

Si j’en crois la Poste, ma lettre n’est toujours pas arrivée. J’ai bien peur qu’elle se soit perdue. J’ai passé un bon moment à la réécrire. Amélie déposera ce nouveau pli chez Stock demain dans la journée. Je suis dans une drôle d’attente. Je n’arrive pas à travailler. J’ai pourtant un long texte à écrire sur André Baillon pour une revue de psychiatrie et Raphaëlle m’a commandé un papier sur Un jour, on entre en étrange pays de Colette Mazabrard. Il va falloir que je me secoue. Nous avons mis de l’ordre dans la maison. Nettoyé la resserre. J’ai coupé du bois. J’ai senti que je m’étais fait un peu mal au dos. Jolie promenade dans l’après-midi. Les primevères ont éclot partout sur les talus, les pruneliers de la falaise sont couverts de fleurs blanches, fragiles. Le printemps est à quelques jours. J’ai accompagné Amélie à la gare. Nous nous retrouvons jeudi.

Dimanche 17 mars 2019. 18h00.

Profiter du beau temps. Je m’efforce de ne pas trop penser. Juste me laisser aller au bonheur d’être avec Amélie.

Samedi 16 mars 2019. 23h50.

Dîner à Dragey chez Sophie et Benoît. Ils étaient justement venus à la maison quand nous recevions Cécile pour les Rencontres. J’aime bien ces coïncidences de rien. Soirée vraiment très agréable. Il sont charmants tous les deux. Etaient invités avec nous, le père Hervé Passard, curé de Sartilly et frère du célèbre chef de l’Arpège, un couple de leurs amis, Florence et Olivier, qui, après s’être occupés longtemps de chevaux, tiennent aujourd’hui une maison d’hôtes en Baie.

Samedi 16 mars 2019. 19h20.

Arrivée d’Amélie au train de midi. Nous sommes allés directement au Comptoir où nous avions rendez-vous pour déjeuner avec Cécile. Nous l’avions invitée aux Rencontres en juin dernier et elle s’était promis de revenir dans la région. Depuis une semaine, elle louait un petit appartement dans la haute ville. Visites, balades, elle était enchantée. Amélie l’a embarquée dans l’après-midi pour ue longue promenade sur la falaise. Moi, je suis resté à la maison nettoyer la terrasse à grande eau. Une tasse de thé à leur retour. Ca m’a fait un grand plaisir de la revoir. Nous avons pas mal d’affinités, je trouve. Elle sont à cultiver. Et sans laisser le temps tout emporter.

Vendredi 15 mars 2019. 17h40.

J’ai complètement oublié le Salon du livre. Amélie s’y est rendue hier pour la soirée d’inauguration. Elle n’a fait qu’y passer. Pour moi, aucun regret de ne pas y avoir été. Cette année, je n’ai même pas fait de demande d’accréditation. Aujourd'hui, Amélie y reste toute la journée pour rencontrer des producteurs au marché des droits. Elle ne me rejoint que demain.

mercredi 20 mars 2019

Jeudi 14 mars 2019. 20H20.

Lundi dernier, j’ai envoyé une longue lettre à Manuel Carcassonne. En courrier suivi. Mais si j’en crois le site de la Poste, elle n’est toujours pas arrivée. Ca m’embête. J’ai besoin d’une réponse. Quand il m’a reçu en coup de vent la semaine dernière, la première chose qu’il m’avait dite, comme il me serrait la main, avait été Après tout ce temps, pourquoi tant de hâte ? J’en étais resté un peu estomaqué. Je n’avais rien trouvé à lui répondre. Il fallait bien que je lui explique. Pourquoi tant de hâte ? Et bien déjà parce que le livre était fini. Enfin. J’en avais signé le contrat il y a bien sept ans avec Jean-Marc. Je ne lui avais rien caché alors de la difficulté à laquelle j’imaginais devoir me heurter pour l’écrire. Comment moi, enfant illégitime, pouvais-je m’autoriser (être légitime) à raconter la vie d’un père dont je ne savais rien, et qui, sur le peu de temps où je l’avais cotoyé ne m’avais pas dit grand chose. Bien sûr, dans mes précédents textes j’avais reconstruit mon histoire familiale, mon enfance, dont je ne gardais étrangement pas le souvenir. Drôle d’amnésie. Il me restait de de ce passé blanc des photos, quelques anecdotes, des noms de gens, de lieux, une chronologie. Avec tout cela j’avais fait des fictions aux allures de récits. L’idée était de procéder de la même manière à propos de mon père. J’avais aussi des photos, des documents, assez difficiles à relier, mais, bon, qui pouvaient me servir de petites prises pour avancer. Je n’aurais jamais pensé être empêché à ce point. J’ai fait, j’ai défait. Une vraie Pénélope. Ca ne fonctionnait jamais. Jean-Marc est mort en mars 2013. A qui allais-je pouvoir confier mes doutes ? J’ai mis une éternité à m’autoriser à parler à la première personne. Mais dès lors que j’avais trouvé le ton, je pouvais progresser. De la hâte ? J’avais suffisamment été empêché d’écrire pour que je puisse me sentir, une fois le manuscrit terminé, sinon heureux, du moins soulagé. Et avec ce sentiment que ce texte ressemblait vraiment à celui que j’avais projeté d’écrire, toutes ces années auparavant. Et puis aussi, j’avais hâte parce que dans tout ce temps, le temps m’avait été compté. En novembre 2010, le lendemain du jour où j’avais remis le manuscrit de La fausse porte, j’entrais en clinique pour me faire opérer de mon cancer. Trois ans plus tard, dans l’hiver 2013, il récidivait. J’avais dû suivre des séances de radiothérapie. C’est un peu comme un ex-voto que j’avais écrit alors L’herbier des rayons. Il est sorti en 2016 chez Caractères. Ce n’est qu’à ce moment-là que je suis parvenu à me remettre au roman. Tant de temps, oui. J’ai compris que de ce temps, je ne pouvais plus en gaspiller. Et qu’il ne fallait plus traîner en chemin. Voilà ce que j’ai essayé de dire à Manuel Carcassonne sur la hâte. Mais s’il n’a pas reçu ma lettre…

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