J’ai appris au réveil la mort de France Gall. Les disparitions médiatiques me touchent bien peu d’habitude. Je ne suis pas sensible au chagrin collectif, les hommages avec leur bimbeloterie sentimentale et hypocrite m’agacent. Et puis il y a cette manière de boursoufler les cadavres célèbres de superlatifs. Lors de la dernière grande séance de larmes nationales, le président de la République n’a-t-il pas été jusqu’à dire que Johnny Hallyday faisait partie des héros français ? De mortuis nihil nisi bonum. Soit. J’ai été surpris cette fois-ci du petit voile de tristesse qui a brouillé ma matinée. Je connais plutôt mal les chansons de France Gall et j'ignore presque tout de sa vie. Mais comme je ne sais qui à la radio retraçait sa carrière, je me suis souvenu de 1965 et de l’année de mes dix ans. C’était un dimanche, après un déjeuner au réfectoire des sœurs, à Anne-Marie Javouhey, l’institution pour demoiselles où ma mère enseignait les mathématiques. Dans la salle de télévision, sur le poste noir et blanc, je l’avais vue chanter Poupée de cire, poupée de son dans une émisson de variétés. Et je m’en étais senti tout doucement remué. Je l’avais enfouie loin cette émotion. A l’époque, je regardais les jeunes filles avec fascination. Un drôle de trouble que je ne comprenais pas et qui se mêlait à un véritable élan d’amour de petit garçon. Il y avait mes cousines Agnès et Françoise, les élèves de ma mère (tiens, parmi elles, Laure Ulmer, dont le père Georges Ulmer était le chanteur à succès de Pigalle et de Un monsieur attendait). D’autres encore. Je contenais mon cœur. Dans la solitude de ces années-là, je cachais l’impossible désir d’avoir une grande sœur. Bien longtemps après, j’ai appris que j’en avais une. Pour de vrai. Mais qui était restée petite, toute petite. Ma demi-sœur Monique, morte à deux ans. En 1932. Amélie a pris son train plus tôt. Toujours de problèmes de travaux sur la ligne. Cette-fois-ci l’arrivée se faisait en gare d’Austerlitz.