Dix ans. Je me suis rendu compte aujourd’hui que j’avais commencé ce journal en janvier 2008. Sans trop bien savoir, au fond, ce qui m’attachait à cette narration du trois fois rien des jours. Si ce n’est, sans doute, ma crainte anxieuse de l’oubli. C’est que j’ai toujours eu un talent particulier pour transformer le passé en paysage flou. Je suis incapable de me souvenir de la moindre date, même des plus belles, même des plus tragiques. Impossible aussi de placer les événements dans leur chronologie. Ne restent que des images, des sensations, des noms, sans rien qui les accroche. Sans rien qui les retienne, si ce n’est de noter, sur des bouts de papier, des carnets, des agendas. Depuis toujours, j’ai gribouillé des pense-bêtes pour ne pas laisser le temps s’enchevêtrer, se fondre au point qu’on ne le reconnaisse plus. Qu’il devienne illisible. Mais les écrits volants eux aussi disparaissent. Je sais ce que je dois à cet exercice. Moi qui me décourage sans cesse, qui fais traîner mes livres. Je m’y tiens. Simplement.