Départ pour Magagnosc en Twingo. Il faut qu’elle roule cette voiture !, avait dit M. Broust, le garagiste de Carolles, lorsqu’il l’avait réparée en décembre. Cette idée de traverser la France « tranquillement » nous avait fait envie. On prendrait son temps. D’abord le Maine, la Touraine et puis le Berry. Nous nous sommes arrêtés pour une première étape à Nohant. J’avais réservé une chambre à L’Auberge de la petite Fadette, juste en face de la maison de George Sand. Les valises posées, j’ai demandé à Amélie de m’accompagner jusqu’à Chassignolles, à quelques kilomètres à l’ouest, entre La Châtre et Aigurandes. C’est dans ce petit village que ma mère est née le 19 mars 1918. Ma grand-mère Angèle avait échoué là pendant l’exode. Elle occupait une minuscule bicoque sur la place de l’église avec ses enfants. Deux à l’époque, André et Agnès. Plus Albert, le fils qu’avait eu mon grand-père Joseph d’un premier mariage. Joseph avait été mobilisé comme chauffeur. Sa guerre s'étirait entre les chargements au dépôt d'armement et les postes de distribution en arrière des lignes. La noria. Il était venu en permission à l’été… Il n’était pas là pour la naissance. Le bébé avait été baptisé par l’aumonier d’un régiment de dragons qui se trouvait au repos. Chassignolles est en quelque sorte un lieu de pélerinage familial. Plusieurs de mes oncles et tantes y sont passés. Ma mère ne s’y est rendue qu’une seule fois, avec mon père, à la fin des années 1970. Elle a correspondu un moment avec Gillian Tindall, une romancière anglaise qui vit là-bas une partie de l’année, au moment où celle-ci écrivait son livre Célestine, Histoire d'une femme du Berry. Le texte était né de la découverte par l’auteur dans une maison qu’elle venait d’acheter d’un paquet de lettres XIXème adressées à la fille de l’aubergiste de Chassignolles (rien que des demandes en mariage !). Elle s’était alors attachée à retrouver, puis à raconter, d’un siècle à l’autre, la vie de cette Célestine disparue en 1933 à quatre-vingt-dix ans sans avoir jamais quitté Chassignolles. C’est grâce à Gillian Tindall que ma mère avait appris que l’endroit où elle était née était devenue la (toute petite) bibliothèque du village. Nous avons pris un verre, à l’auberge justement. Seuls sur la terrasse. Sous le vol des hirondelles qui regagnaient leurs nids sous le toit.