J’ai finalement posté ma lettre aux collégiens d’Orgerus. Ca faisait deux semaines que je trimballais l’enveloppe dans mes affaires. Trois mots pour leur dire merci, pour leur dire au revoir. On s’était vus en février, en mai. J’étais retourné une dernière fois tout début juin pour assister à « la restitution collective de leurs travaux ». Comprendre : au spectacle de fin d’année et aux lectures organisées avec les élèves des autres établissements des Yvelines qui, eux aussi, avaient reçu un écrivain. J’étais le seul d'ailleurs à m’être déplacé. J’ai trouvé cela un peu désinvolte de la part de mes… « confrères ». Comment en effet ne pas se sentir un peu redevable ? C’est la troisième fois que j’accompagnais ainsi une classe. J’étais resté deux ans, en 2010 et 2011, auprès des élèves de David, au collège Eugène Varlin du Havre. Des gamins chez qui l’invention était écrasée par le quotidien. Chez eux, la vie précaire, les angoisses affectives, faisaient barrage à l’imaginaire. Ils parlaient d’expérience. Et ils avaient à dire… A Orgerus, pas d’inquiétude sociale : ceux-là pouvaient encore être des enfants. N’empêche, ils m’ont embarqués dans de drôles d’histoires. Dans des récits extravagants, cyniques, des aventures sans commencement ni fin. Des tableaux étranges. Dans le hameau de Richard-de-bas, une femme marche. Elle revient du moulin de papier, où elle travaille. La nuit est déjà tombée. La lune n'est pas là pour l'éclairer : le ciel est encombré. Les creux du chemins sont rendus invisibles par la neige qui s'accumule depuis quelques semaines. Plusieurs fois, la femme trébuche. Elle traverse une rue, bifurque à droite, puis à gauche, sortant ainsi du hameau. Elle atteint un petit chemin. Sa maison est au bout. Anaïs m’en avait rempli comme ça des pages et des pages. Affaire d’attente lente. Elle a treize, quatorze ans. Le cuisinier de la cantine avait fait des petits fours. J’avais trinqué au mousseux avec Sonia, la prof de français. Serré la main du proviseur. Non, c’est moi qui vous remercie de votre accueil. J’étais rentré à pied jusqu’à la gare. Vingt minutes de marche, la route traversant les champs et puis le vieux village. Où voudra-t-on m’envoyer l’an prochain ? Jérôme a appelé pour remercier. Nous avons gardé Gabrielle à Carolles en fin de semaine dernière, pendant qu’il emmenait Marion à Rome pour son anniversaire. La petite (treize mois…) fait juste ses premiers pas, s’accrochant fort aux mains. Dans quelques semaines, elle se lache. En attendant elle babille, soliloque, se soûle de syllabes jusqu’à l’épuisement, boulotte des fraises et des biscuits secs. Se frotte les yeux. Elle est encore fatiguée ? - Bon, on la recouche. Nous l’avons emmenée à la plage. Baladée tout partout. Grand succès au marché de Granville. Elle vous ressemble. - Non, elle n’est pas à nous. Non, non…