Il m’a toujours semblé que les hasards me faisaient comme un signe. Des balises de rien. Une rencontre, un objet perdu et retrouvé, une vieille photo, une page qui s’ouvre dans un livre. Ou des mots qui résonnent. Des lieux qui se découvrent abruptement familiers. Sous cette pluie d’indices, je ne dois mes détours qu’à mes cécités, mes sottises, mes obstinations. Je n’ai pas vu. Pas compris. Ou pas voulu comprendre. Ou je n’étais pas prêt. Ce matin, je remettais au propre mes questions à Jean-Claude Pirotte quand une heure et demie environ après le départ de Paris, le train a freiné doucement jusqu’à presque arrêter. J’ai levé le nez de mes notes. Nous étions juste au passage à niveau de Pont-sur-Seine. A gauche, dans une lenteur de rêve, j’ai reconnu le canal, la passerelle, la rue principale, le clocher de l’église. Et de l’autre côté l’entrée du château et puis la cartonnerie. Un convoi nous a croisé faisant trembler les fenêtres. Nous avons repris notre allure à peine il était passé. Je suis allé souvent pendant vingt ans de ma vie dans ce village de l’Aube. Quand Marie grandissait. J’en garde des secrets et une douceur sourde dont je ne sais pas parler. Je n’ai pas réussi à me remettre au travail. En arrivant à Belfort, un long moment après, inexplicablement, quelque chose en moi s’était réconcilié. Qui sait...