Train du matin pour Granville. Nous n’aurons pas quitté la maison trop longtemps cette fois-ci. Mais depuis l’accident, nos allers-retours s’installent dans un épuisant désordre des semaines. Plus que jamais, nous avons l’impression d’habiter nulle part. Temps maussade. Je me suis mis à la rédaction de la nécro de Jorge Semprún. Florence m’avait commandé le papier la semaine dernière. Il ne va pas bien du tout, tu sais... A l’hôpital, il avait fait un accident cérébral pendant une opération du dos. Pas repris connaissance depuis. J’avais découvert Semprún avec Le grand voyage. Je m’intéressais alors à « la littérature des camps ». Ce livre, le premier, était celui de ses retrouvailles avec le passé qui ne passe pas. Des retrouvailles qui ne finiront pas de se renouveler. Plus tard, dans L’écriture ou la vie, le récit se confronte à la difficulté de témoigner. A la douleur du témoignage. La tentative de ranger ses textes sous quelques lignes forces (l’expérience de la déportation, la vie clandestine militant, l’exil en France, l’Espagne après Franco) échoue très vite tant il écrit dans un foisonnant ressassement. Les souvenirs se bouclent. Partout l’enfance est en filigrane. Des scènes de famille restées en mémoire dans de très fugitifs instants se retrouvent à chaque titre. Je crois que c’est cette approche particulière qui m’a touché. Et puis, comme l’écrivait Cayrol après sa libération de Mauthausen (Semprun, c’était Buchenwald…), il avait eu cet étrange privilège d’être né deux fois. Tout ce temps à reprendre. Cette manière neuve de vivre des jours d’après la mort. Fini tard d’écrire. Amélie était couchée depuis longtemps.