La rencontre était annoncée depuis la semaine dernière. J’avais des affiches chez tous les commerçants. A l’épicerie, à l’auberge, à la charcuterie, chez le boulanger… Je signais La fausse porte à la Maison de la presse de Carolles. Le monde promis par Charles était là dès dix heures. Bonjour. Bonjour. Comme à chaque fois dans ces circonstances, voilà que je me retrouvais frappé d’amnésie. Vous pouvez me redire votre prénom ? Façon d’avouer J’ai complètement oublié comment vous vous appelez. Avec certains, ça passe. D’autres, je sens bien qu’ils sont un peu blessés. Je me mets à leur place, c’est vexant. Mais je n’y peux rien. Dès que je dois reconnaître les gens, ça devient impossible. Même, et hélas surtout, ceux pour qui ça ne devrait pas poser de problèmes. Je mutiplie les absences… Dans les cocktails, je m’en sors en noyant mes lacunes dans le pâteux des conversations. et m’enfonce dans la confusion, préférant me taire plutôt que tenter une hasardeuse identification. Mais quand il s’agit d’une dédicace… Vous avez vu que vous aviez un article dans Le Nouvel Observateur, m’a dit une dame que, pour le coup, je n’avais jamais vue. Oui, merci. Jérôme Garcin a titré son papier « Une enfance à Senlis ». Il y a une photo de classe en illustration. Celle de mon CM2 avec M. Violet. Vers les midi, Amélie a apporté du vin rosé et des « pains libanais ». Les pains libanais, pour l’apéritif, sont une recette de Claire, inventée du temps où la famille était en Côte-d'Ivoire. Il faut séparer en deux une pita. On badigeonne chacun des deux cercles avec un mélange d’huile d’olive d’ail, de thym, d’herbes, de gingembre et de piment hachés. Quelques minutes au four, le temps de les dorer, à peine. Nous avons déjeuné chez Françoise et Jean-Pierre avec Gillian et Patrice. Premières moussettes. Premières « vraies » fraises. Brouilly léger. J’aurais bien marché pour le retour. Elles me tardent les promenades. J’ai rappellé Nicole Garret-Gloanec pour mon intervention à son colloque à Cerisy. Trop compliqué. J’ai besoin qu’on m’amène, qu’on me ramène. Qu’on me dépose à la gare avec ma valise pour le retour à Paris. Je suis désolé… Fait un peu de courrier. Charles et Nelly sont venus dîner à la maison. Ils voulaient nous inviter dans un restaurant qu’ils aiment bien, quelque part dans les terres. Une autre fois, pardon… Je ne cesse de demander excuse. Avec ma jambe à la traîne, oui, tout est si compliqué.