Jusqu’à Montparnasse, j’avais traîné la valise, dans la neige matinale. Une neige urbaine et assez discrète. Tout a changé pendant le trajet. Avant même Dreux, le paysage s’est enfoncé dans le blanc épais. Gros flocons et rafales. Sur le quai de la gare de L’Aigle, les gens s’enfonçaient déjà à mi-mollet dans la poudreuse. Jusqu’à Granville, le train a traversé un paysage à la Docteur Jivago. Une bonne heure de retard à l’arrivée. J’ai mis un temps fou à déblayer la voiture. Jamais vu ça ici. La route était entièrement recouverte. Glissante. Tant bien que mal, pour voir, j’ai tourné à la plage. Quelle vision… Mon père m’avait raconté que l’hiver 1916 (il avait treize ans), la mer avait gelé à Carolles. Rien de tel aujourd’hui, mais j’ai vu le sable envahi jusqu’au luisant et les rochers de marée basse marbrés comme des encres de Chine. Une unique trace de pneus dans le chemin jusqu’à la maison. Jardin immaculé. Pas envie de l’abîmer avec des traces de pas. J’ai tracé au plus court, et avec précaution, pour laisser voir à Amélie, à son arrivée, le plus possible de territoire vierge.