Cela faisait plus d’une semaine qu’Amélie avait réservé les places. Nous allions voir Figaro divorce d’Horváth au Théâtre français. Arrivés dans la loge quelques minutes avant le lever de rideau, nous y avons retrouvé par hasard Jean-Michel Ulmann d’Impact médecin. Cela faisait longtemps qu’on ne s’était pas croisés. Je ne sais pas pourquoi mais cela m’a semblé de bon augure. J’ai serré doucement le bras d’Amélie. J’ai vécu, enfant, dans cette salle ma toute première émotion théâtrale. C’était Cyrano de Rostand avec Jean Piat. Je devais avoir huit ou neuf ans. Cela m’avait transporté. J’avais appris par cœur les tirades, les scènes. Je les sais encore. Quand je laisse ici aller mon regard sur les velours, sur les dorures, il me revient toujours quelque chose de ce frisson-là. Mais nous ne sommes pas restés. A l’entracte, nous avons juste échangé un regard. Vous en pensez quoi ?, nous a demandé Jean-Michel avec une moue dubitative. Lui aussi était déçu. Nous avons filé. La mise en scène recouvrait le texte de quelque chose de lourd, de trop parfait, de trop léché. Tant pis pour la suite… Nous avons marché un peu, libérés et légers. Fini par pousser la porte de l’un des nombreux restaurants japonais de la rue Sainte-Anne où nous avons poursuivi notre petit moment d’étrangeté complice. Drôle de soirée. En rentrant, comme c’était tout près, nous avons fait un crochet par la rue Thérèse. Là où la Harpe habitait à son retour d’exil et là où il est mort. Je pensais à sa Réponse aux observations pour les comédiens français qu’il avait écrite vers 1795 avec Mercier, Champfort, Sedaime et… Beaumarchais : Nous soutenons et nous avons prouvé que ces pièces étaient devenues votre proie et ne sont pas votre propriété…