(...) Ne pas rater un seul instant du printemps. Il faisait doux ce matin. Je suis allé à pied jusqu’à Censier. Un court tronçon du boulevard Saint-Germain, puis j’ai grimpé la Montagne-Sainte-Geneviève. Rue de l’Ecole-Polytechnique et rue Mouffetard. Je suis arrivé juste pour l’atelier d’écriture. Mes étudiants sont de moins en moins nombreux. Je devrais me poser des questions. Mais la petite poignée qui reste m’épate. Ils sont discrets, intelligents, attentifs. Ils ont vingt ans. Mes vingt ans à moi, je ne sais plus où ils se baladent. Je croyais les avoir gardés tout proches. Il n’y a pas très longtemps, j’ai compris qu’ils m’étaient devenus inaccessibles. Lorsque je marche dans Paris, comme tout à l’heure, il me semble que je croise, par moments, le jeune homme que j’ai été. Il s’arrête à la devanture d’une boutique. Entre dans un café. Il flâne, le nez en l’air. Je le regarde passer. Pauvre chère silhouette. Aujourd’hui je sais où le mènent ses pas. Trop de rêves. Tellement trop de rêves. J’ai oublié qu’il pouvait y avoir un accomplissement. J’avais rendez-vous avec Martine Sonnet dans son petit bureau au dernier étage du grand escalier de l’Ecole normale supérieure. Nous avons passé une heure à parler de son livre, Atelier 62. Un texte magnifique sur son père, Amand, forgeron chez Renault à Billancourt. Venu de l’Orne pour vendre sa vie afin de nourrir sa famille. Temps passé, page tournée. Qui se souvient des petites gens ? Nous qui sommes si proches, si nous ne parvenons pas à porter témoignage, alors, il ne restera plus rien. J’ai hésité à lui parler de ma Rue d’Avelghem. Je lui enverrai peut être le roman quand le papier sortira dans Le Pèlerin.