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mardi 3 mai 2022

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Mardi 26 avril 2022. 17h00.

J’étouffe. J’ai la poitrine qui siffle. Comme chaque année à la même période j’entame ce curieux chemin de croix de la mort de ma mère. Une alerte, un rappel physique de l’anniversaire du deuil. Elle est partie, les bronches noyées dans la nuit du 29 au 30. Seize ans. Je ne me fais toujours pas à cette absence. Et mon corps le redit. Amélie part en Bretagne jeudi pour une tournée de rencontres avec Christian Astolfi. Elle ne viendra pas à Carolles cette semaine. Je serai seul et d’une certaine manière, c’est mieux. Je lui impose déjà tant d’abattement, de lassitude. J’ai du travail. Pour le Festival de Nice, pour Nicole. Raphaëlle m’a commandé un papier sur le roman de Beatrix Beck, La décharge, reparu aux éditions du Chemin de fer. Il y a aussi Chassignolles, bien sûr. Mais je me sens incapable de faire quoi que ce soit.

Lundi 25 avril. 19h20.

J’ai terminé mes papiers dans le train. Yann m’attendait à la gare. Je suis allé chercher la chienne dans l’après midi. Sévérine guettait mon arrivée. Il faut que je vous dise... Il s’est passé un petit drame pendant le séjour. La Harpe a été attaquée, deux fois, par un beagle, en pension lui aussi. Elle s’est fait mordre, à peine, au cou, à l’oreille. Séverine l’a soignée. Tout va bien. L’agresseur a été rendu à ses maîtres (navrés). Il est à présent interdit de séjour.

lundi 2 mai 2022

Dimanche 24 avril 2021. 22h00.

C’était les résultats des élections. J’ai pensé à la chanson de Ferré. Ils ont voté... et puis, après ? Moi, je fais comme Achille. Je rentre dans ma tente.

Samedi 23 avril 2022. 14h10.

Raphaëlle m’a demandé hier si je pouvais écrire deux brèves. J’ai choisi La petite bande de Vincent Jaury (A cause du titre. J’avais choisi le même il y a longtemps pour une série de livres jeunesse qui n’a jamais vu le jour) et Le grand jabadao de Jean-Luc Coatalem. Une histoire foutraque de Bretagne, de peinture et d’anarque. Coatalem, si réjouissant ici, si bouleversant quand il écrit La part du fils.

Vendredi 22 avril 2022. 20h20.

Marie avait réservé dans un restaurant du boulevard Haussmann. Chaque fois que je viens à Paris, j’essaie que nous déjeunions ensemble. Je passe la chercher à sa galerie, rue de Téhéran et nous trouvons une table quelque part dans le quartier. Elle n’a pas beaucoup de temps. On fait vite le tour des nouvelles. Son travail, ses amis dont je ne sais rien ou pas grand chose. Cet été, elle part en Alaska. Après le Groënland, la Mongolie. Tous ces endroits où j’avais envie d’aller et où elle se rend, va savoir, à ma place. Je voulais voir l’Antarctique, remonter les fjords de Norvège avec l’express côtier. Aujourd’hui, je ne suis plus certain d'en avoir encore envie. C’est peut-être mieux qu’elle pense, un peu, à moi dans ces lointains où je ne partirai pas. J’avais rendez-vous en fin d’après-midi chez Pierre Gilloire. Il a déposé son manuscrit à l’accueil chez Grasset. Dans sa lettre d’accompagnement, il parle de moi. Comment lui dire que je n’ai vraiment aucune influence dans la maison. J’essaierai quand même d’y suivre son texte à la trace. Et puis, je lui ai promis, je ferai tout ce que je pourrai pour qu’il soit publié. Quelque part. Il m’a montré sa collection de sables, de cailloux. Ses galets sur lesquels il a écrit des poèmes.

Jeudi 21 avril 2022. 19h50.

J’ai retrouvé Amélie au Salon du livre. Il avait lieu cette année au « Grand-Palais éphémère », cette monstruosité que la municipalité a édifiée (provisoirement, tu parles) sur le Champ-de-Mars. Enfin. Je traînais un peu des pieds pour y aller, mais somme toute, c’était bien de revoir ces gens. On a bu du champagne, on a ri, on s’est souvenus des bons moments. Nous avons fait la fermeture. Trop tard pour dîner. Trop fatigués. Juste un yaourt et quelques fruits à la maison.

Jeudi 21 avril 2022. 19h50.

Juliette m’avait invité dans un restaurant japonais de la rue du Sabot. Deux ans que nous ne nous étions pas parlé. Sauf une fois au téléphone. Je lui ai bien sûr donné des nouvelles de Chassignolles. Ce n’est pas tant qu’elle « attende » ce livre, mais elle doit pouvoir compter dessus. Depuis le début du projet, je n’ai pas cessé de me prendre les pieds dans tout un tas de petits obstacles. Des trois fois rien. Je trébuchais. J’avais fini, comme je le fais souvent, par m’asseoir et attendre. Pourtant j’ai réussi petit à petit à me désencombrer des soucis historiques (grâce à Stéphane Audoin-Rouzeau), géographiques, locaux (grâce à Françoise Aben), de m’affranchir de ce qui restait de pesanteur familiale (grâce à mes oncles Georges et René). L’affaire a commencé à prendre forme. Reste qu’il faut que j’aille sur le motif. Je n’ai peut-être pas besoin de retourner dans l’Indre, mais il faut que je me rende à Houplines où est née Angèle, où elle a passé son enfance, sa jeunesse. J’avais contacté, il y a longtemps, une Mme Morel, secrétaire de l'association d'histoire de la commune. Je vais la rappeler avant de faire le voyage là-bas. Juliette ne m’a rien demandé, mais je me suis entendu dire que je devrais avoir fini le manuscrit à la fin de l’année. J’avais rendez-vous chez l’ophtalmo à cause de ces lunettes avec lesquelles je vois moins bien de loin avec que sans. Refait toute une batterie de tests. Comme je m’y attendais, ce n’est pas la faute de la dame (sa prescription est parfaite) mais celle de mes yeux. Vous n’avez pas assez de larmes m’a-t-elle dit en me prescrivant un collyre. Pas assez de larmes ? Ah… Elle a accepté, malgré tout, que l’opticien refasse les lunettes avec simplement des verres de lecture. Je suis allé voir Nicole chez Caractères. La maison est toujours de la rupture, mais elle tient, elle tient. Je lui ai promis un court texte sur Amir Parsa. Pour quand, grand Dieu ?

Mercredi 20 avril 2022. 19h00.

Déjeuner avec Marc Villemain chez Vagenende, en terrasse. Il ne va pas très bien Marc. Lui aussi se retrouve avec une récidive de cancer. Ca avait été les poumons. Mais cette saloperie se déplace. On vient de l’opérer. Et il aura droit à une nouvelle intervention. Avant, il doit en passer par des séances de chimiothérapie. Elles commencent demain. Devant cet angoissant programme, il affiche un fatalisme tranquille. Il serait presque serein. Longue discussion un peu désabusée sur les livres et l’édition. Nous avons évoqué des gens qu’on aime bien, parlé d’écriture théâtrale. Comme il m’a dit : Nous n'avons pas refait le monde, nous ne l’avons pas défait.

Mardi 19 avril 2022. 23h40.

La date de reprise des Rencontres littéraires est fixée au 27 août. Les dernières avaient eu lieu en mars 2019. La nouvelle municipalité de Carolles avait eu le désir de les reprendre il y a déjà longtemps. Mais l’enfermement, les règlements sanitaires avaient sans cesse repoussé la date. Le dernier auteur à être venu était François Taillandier pour François, roman. Le prochain sera Jean Michelin (il a publié en 2017 Jonquille, un récit poignant, à vif, sur l’engagement français en Afghanistan où il était capitaine) pour son premier roman Ceux qui restent. J’ai rejoint Amélie en coup de vent au Rostand où elle avait donné rendez-vous à Christian Astolfi qu’elle accompagnait dans une librairie de Bourg-la-Reine pour une signature. Soirée séparée. J’ai dîné chez René avec Pascale. Ce n’est plus Jean-Gabriel qui s’occupe de ce restaurant (il n’a gardé que Chez Georges, rue du Mail), mais son beau-frère, Dominique Paul. Saucisson chaud pistaché, côteaux du lyonnais. Allons, ça n'a pas tant changé que ça.

Mardi 19 avril 2022. 16h50.

J’avais rendez-vous avec Claire dans un bistrot du XVe. J’avais appris tardivement qu’elle était en arrêt maladie après une rechute, bien des années après, d’un foutu cancer. Elle est souriante, vaillante, malgré les lourds traitements. Nous avons parlé du printemps. Du prochain été. Je l’ai raccompagnée jusqu’à la porte de son immeuble. Suis redescendu par le petit jardin qui rejoint la rue de Vaugirard. Je me suis assis un moment sur un banc. Il y avait plein d’oiseaux. J’ai envoyé un message à Jérôme. Il a quarante-quatre ans aujourd’hui. Après des années d’incessantes disputes conjugales et un interminable divorce, il file le parfait amour avec une Manon, libraire à Aix-en-Provence. Je lui souhaite de trouver enfin la paix du cœur.

Lundi 18 avril 2022. 23h30.

La chienne a pris ses quartiers chez Séverine. Nous avons quitté Carolles juste après avoir été voter. Croisé Jean-Pascal. On s’est dit quelques mots, gentils, un peu lointains. Voilà bientôt quatre ans qu’on ne se voit plus. Du tout. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Nous avons été vraiment proches. Nous avions fait connaissance « pour de bon » en 2010 et depuis cette date nous ne nous étions pour ainsi dire plus quittés. Toujours chez l’un, toujours chez l’autre. Nous avions même pris l’habitude, après les dîners, de nous raccompagner d’une maison à l’autre et de recommencer comme de vieux gamins. Nous parlions sans effort de livres et d’auteurs, de musique, de vins, d’Italie, de jardins. Et c’était comme une vie de famille sans heurts, avec Martine et leur fille Agathe que nous avons vu grandir. Elle a vingt-et-un ans, l’âge de Camille. Puis l’été 2018, nous n’avons plus eu de nouvelles. Si je ne fais pas signe, m’avait-il confié un jour, c’est juste que je ne vais pas très bien. Ca passe. Je m’en suis souvenu et l’ai laissé tranquille. Je suis sujet, moi aussi, à ce taedium vitae qui m’isole et m’empêche. J’ai écrit plusieurs fois. Sans jamais de réponse. J’aurais peut-être dû téléphoner. Qu’était-il arrivé ? Un épais silence a peu à peu cimenté le temps. Nous nous entrapercevions, c’est tout. Une fois, j’ai tenté une explication. Vous ne savez pas ce que vous faites à vos amis, a-t-il dit simplement. Non, je ne sais pas. Je ressens simplement comme un vide, comme un manque. Et je me sens aussi sot, imbécile, innocent. Bientôt quatre ans. Nous sommes arrivés à Paris tard, il n’y avait de la place que dans le dernier train.

dimanche 1 mai 2022

Dimanche 17 avril 2022. 21h00.

Retenir la journée. Personne n’avait envie de se quitter en fait. Après déjeuner, côtes de bœuf (il y avait pénurie de gigot chez le boucher !), frites et tarte aux pommes, les enfants voulaient aller à la plage. Amélie y a embarqué tout le monde. Moi, je suis paresseusement resté à la maison. Les jumeaux se sont baignés. Jérôme aussi s’y est essayé. J’ai peur que son exploit ne lui ait fait gagner qu’un rhume. L’eau devait être à quinze degrés, pas plus. Mais surtout, ils ont fait de la pêche à pied et sont revenus avec un plein sac de bigorneaux. J’ai douché un peu l’enthousiasme général. Ce qu’ils avaient ramassé n’étaient pas des vignots (littorina littorea) mais une espèce au dessous nacré qu’on appelle des gibules ou des bigornes de chien (osilinius linéatus). Oh, ils sont comestibles mais ils n’ont pas grand goût et se révèlent plutôt coriaces. Enfin, quand on parvient à les extraire de leur coquille. Car ils se rétractent tellement à la cuisson que l’épingle a du mal à les crocheter. Je les ai cuits quand même. Le résultat, hélas, était prévisible.

Dimanche 17 avril 2022. 13h00.

Nous nous sommes tous retrouvés à l’abbaye de la Lucerne pour la messe pascale. Comme chaque année, du dimanche des Rameaux à celui de Pâques, les messes, petites heures et vêpres sont portées par les chants des étudiants du chœur grégorien de Paris. Comment dire simplement ? Ca emporte l’âme.

Samedi 16 avril 2022. 23h40.

J’ai récupéré tout le monde en fin d’après-midi. Nous avons dîné sur la terrasse. Homards, huîtres, praires, crevettes, bigorneaux et bulots. Tristan et Virgile, les jumeaux, après avoir cavalé dans le jardin, joué avec la chienne, ont piqué du nez dans leurs assiettes. Eugénie tenait mieux le choc mais elle était fatiguée. En fait, tout le monde l’était. Sauf moi qui n’avais pas marché une bonne quinzaine de kilomètres dans le sable, la tangue, les rivières et sous le soleil (car il avait fini par percer le brouillard). Mais il faisait doux, le reuilly était bon et nous avons fait durer la soirée un bon moment.

Samedi 16 avril 2022. 11h50.

J’ai accompagné Amélie au Bec d’Andaine où elle avait rendez-vous avec Jeanne, Jérôme, et la petite troupe pour faire la traversée de la Baie. Une brume de chaleur descendait par plaques. Nul doute que leur marche vers le Mont allait être un peu fantomatique. Ils sont arrivés hier soir et logent à Bacilly dans un petit château XVIIIe où sont aménagés des gîtes. Le propriétaire de l’endroit a l’air assez mal embouché. Lorsqu’il a vu qu’il y avait des enfants, il a exigé qu’ils signent une décharge pour dégager sa responsabilité en cas d’accident. Bon accueil !

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Mercredi 13 avril 2022. 15h30.

Nouvelle séance de toilettage pour la chienne. On reçoit ce week-end. Jeanne vient nous voir avec ses enfants (sauf la grande aînée) et son nouveau compagnon Jérôme. Les enfants étaient déjà venus il y a quatre ans. La Harpe avait eu un grand succès à l’époque. Il faut qu’elle soit à la hauteur.

Mardi 12 avril 2022. 19h40.

Retour à Carolles avec le paon dans la voiture. Nathacha qui devait venir dîner ce soir à la maison avec Neela a annulé. Sa voiture est en panne. J’ai l’impression que cela fait des années que nous collectionnons les rendez-vous manqués.

Lundi 11 avril 2022. 22h30.

J’ai terminé mon papier sur Histoires naturelles de Franck Maubert. C’est un petit bréviaire d’instants, un recueil de rêveries. J’y ai trouvé une vraie parenté avec celles qu’avait écrites Jules Renard en 1896. Les chemins que l’on ne fait qu’emprunter, les arbres à qui l’on murmure des confidences. Cette faune bruissante, cette flore froissée d’odeurs. Chaque rencontre, chaque hasard, s’associe délicatement, se tisse, d’une foule de minuscules associations, de rapprochements, de réminiscences. J’avais rencontré Franck Maubert en 2004 dans le foutoir de mes derniers mois à Point de Vue. On s’est croisés une ou deux fois après, c’est tout. Mais j’ai reconnu chez lui, tout de suite, cette part d’enfance un peu triste, doucement triste. Celle qui m’accompagne. Celle que je connais bien. J’ai retrouvé Amélie dans le quartier de l’Odéon. Le jardin du Luxembourg était tendrement feuillu. Quel beau printemps.

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