Pour ses trente ans, j’avais emmené Marie à Vienne. Lorsqu’elle en a eu quarante au mois d’août, poussé par je ne sais quelle espèce d’association d’idées géographique, je lui ai proposé d’aller à Munich. Je connais bien mal l’Allemagne, pas du tout la Bavière. Une découverte donc pour moi, pas tout à fait pour elle puisqu’elle y avait déjà fait un bref aller-retour il y a deux ans le temps d’une exposition d’art contemporain. Il avait fallu du temps pour que nous trouvions une date qui nous convienne tous les deux. J’appréhendais un peu. Nous nous voyons toujours en coup de vent, pour déjeuner ou prendre un verre dans le quartier de sa galerie. Elle vient brièvement à Carolles l’été, mais, depuis Vienne, depuis dix ans, nous n’avions pas passé plusieurs jours en tête à tête. Trois jours ici, et qui ont filé à toute vitesse. J’avais réservé dans un petit hôtel de Liebigstraße, à vingt minutes à pied du centre. Il a fait un temps radieux. Marie qui suit le travail l’artiste de rue Invader avait envie de partir à la recherche des mosaïques pixélisées crées sur le modèle du jeu vidéo de la fin des années 1970 qu’il avait plaquées dans la ville (une petite vingtaine). Cela nous a fait découvrir Munich vraiment différemment. En marchant, d’une rue, d’une place, d’une avenue l’autre, les monuments, les églises, les musées, surgissaient presque par hasard. Ainsi de la cathédrale Frauenkirsche où nous avons vu le fameux pas du diable, une noire empreinte de pied avec une petite queue au talon, laissée à l’entrée par le démon. Ainsi de l’hôtel de ville avec son Glockenspiel animé. Nous avons visité le musée de la chasse et de la pêche. Passé une matinée au château de Nymphenburg, la résidence d’été des rois de Bavière (Louis II y est né). Longue promenade dans le parc. Près de Magdalenenklause, étrange chapelle XVIIIe qui tient de la ruine et de la grotte marine, j’ai ramassé plusieurs plants d’ail des ours. Vrai vertige à la Alte Pinakothek (je m’y suis fait un petit syndrome de Stendhal) : Dürer, Cranach, Holbein, Bosch, Rembrandt, Ruysdael, Brueghel, Memling, Rubens, Van Dyck, Fra Angelico, Botticelli, Giotto, Raphaël, Tintoret, Titien, Véronèse, Boucher, Greuze, Poussin, Chardin, Le Greco, Velasquez, Zurbaran. Et aussi, comme la Neue Pinakothek était fermée pour travaux, quelques salles avec Goya, Constable, Delacroix, Caspar David Friedrich, Turner, Renoir, Manet, Monet… J’aurais bien rebroussé chemin pour voir à nouveau La chute des damnés de Rubens, un pêle-mêle de corps jetés dans la Géhenne, mais non, c’était trop, trop. J’étais soûlé, rassasié. Empli d’images et d’émotions, épuisé de ravissement. Nous sommes allés prendre un verre. Des verres, nous en avons pris pas mal pendant ce séjour. Des bières surtout, des Helles, servies d’office en 50cl. Et nous avons déjeuné et dîné bavarois dans les tavernes, les biergarten et à l’Hofbräuhaus, l’immense brasserie du quartier de Platzl. Je crois que Marie était contente. Je l’ai été aussi. Heureux plutôt. De cette complicité joyeuse qui nous a emmaillotés là-bas. Pas de confidences. Je ne sais rien de sa vie, soit qu’elle imagine que ça n’en vaut pas la peine, soit qu’elle pense que ça ne me regarde pas. C’est comme ça. On s’est dit quand même deux ou trois mots sensibles. L’essentiel, quoi. J’ai aimé Munich. J’ai aimé y être. J’y trouve quelque chose de paisible, de confortant. J’étais retourné à Vienne avec Amélie. Aujourd’hui, j’aimerais bien lui faire découvrir Munich.