La chienne a pris ses quartiers chez Séverine. Nous avons quitté Carolles juste après avoir été voter. Croisé Jean-Pascal. On s’est dit quelques mots, gentils, un peu lointains. Voilà bientôt quatre ans qu’on ne se voit plus. Du tout. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Nous avons été vraiment proches. Nous avions fait connaissance « pour de bon » en 2010 et depuis cette date nous ne nous étions pour ainsi dire plus quittés. Toujours chez l’un, toujours chez l’autre. Nous avions même pris l’habitude, après les dîners, de nous raccompagner d’une maison à l’autre et de recommencer comme de vieux gamins. Nous parlions sans effort de livres et d’auteurs, de musique, de vins, d’Italie, de jardins. Et c’était comme une vie de famille sans heurts, avec Martine et leur fille Agathe que nous avons vu grandir. Elle a vingt-et-un ans, l’âge de Camille. Puis l’été 2018, nous n’avons plus eu de nouvelles. Si je ne fais pas signe, m’avait-il confié un jour, c’est juste que je ne vais pas très bien. Ca passe. Je m’en suis souvenu et l’ai laissé tranquille. Je suis sujet, moi aussi, à ce taedium vitae qui m’isole et m’empêche. J’ai écrit plusieurs fois. Sans jamais de réponse. J’aurais peut-être dû téléphoner. Qu’était-il arrivé ? Un épais silence a peu à peu cimenté le temps. Nous nous entrapercevions, c’est tout. Une fois, j’ai tenté une explication. Vous ne savez pas ce que vous faites à vos amis, a-t-il dit simplement. Non, je ne sais pas. Je ressens simplement comme un vide, comme un manque. Et je me sens aussi sot, imbécile, innocent. Bientôt quatre ans. Nous sommes arrivés à Paris tard, il n’y avait de la place que dans le dernier train.