Je me suis réveillé un peu vaseux. Marc Villemain et Joëlle déjeunaient rapidement à la maison avant de prendre le train du début d’après-midi. Amélie rentrait à Paris avec eux. Joëlle est arrivée avec du champagne. Et bien, je ne l’ai pas bu avec autant de plaisir que j’aurais pu imaginer. J’ai chipoté les huîtres et les crevettes. De retour à la maison, après les avoir accompagnés tous à Granville, je me suis senti plutôt fatigué. Mais pas question de se plonger dans une longue sieste, j’avais à écrire mon papier sur Belletto. Je m’en suis pas sorti si mal, compte-tenu de ma torpeur migraineuse. J’avais été frappé, en le lisant la première fois, par le frontispice de la fausse page. Je m’étais demandé quel était ce tableau début XIXe représentant une femme en grande robe blanche, assise sous une tonnelle, de dos, regardant, distraite ou absorbée, un paysage de montagnes. En fait, il s’agit de la reine Hortense, la fille de Joséphine de Beauharnais, adoptée par Napoléon, et mariée sans amour aucun à un des frères de l’empereur, Louis, devenu roi de Hollande. Nous sommes en 1813. Elle est venue prendre les eaux à Aix-les–bains. Sa meilleure amie, Adèle de Broc, vient de mourir. Toutes deux étaient parties faire une excursion aux gorges du Sierroz. Le pied a manqué à Adèle, elle est tombée dans le gouffre. Elle a été emportée par les flots. Pour distraire la jeune souveraine de son chagrin, on a demandé à un peintre, Antoine Duclaux qui a d’ailleurs le même âge qu’elle, trente ans, de venir faire son portrait. Pas de lien semblait-il entre cette image d’une tristesse lasse, accaparante, et le roman où les destins des personnages s’enchevêtrent (Belleto parle d’enchevêtremental) dans une narration inquiétante de coïncidences, sans cesse bouleversée. Pourtant elle était bien là, placée par l’auteur, sans explication. A moi donc, sinon d’en trouver, du moins de me laisser guider à travers le texte dans le sentiment de cette représentation. Je suis parvenu à finir cette chronique à une heure raisonnable. Pas fâché d’aller me coucher.