J’ai écrit mon papier pour Elle sur L’enfant qui, le dernier texte de Jeanne Benameur. Amélie était au marché avec les enfants. Ils sont revenus triomphalement avec des homards. Gabrielle les adore. Je la revois il y a déjà longtemps, sur sa chaise haute, en boulotter un avec de petits grognements de satisfaction. C’est bon… Elle n’avait pas trois ans. Seulement voilà. Elle a grandi et j’ai bien senti, à table, qu’elle n’éprouvait plus la même passion gourmande. Elle mangeait à longues dents. Déçue. Oui, j’aime bien, mais… En fait, elle se bagarre avec ce qui lui reste d’images de sa « première enfance ». Elle cherche à revivre les sensations, les petits et grands bonheurs dont elle sent bien qu’ils s’enfuient. Ca la rend désemparée et inquiète. Elle hésite, elle évite, elle regrette. Ca la rend, oh, à peine, malheureuse. Mais quand même. Mais déjà. Antoine, lui n’a pas ce genre de soucis. Ce qu’il cherche à faire, c’est voir jusqu’où il peut aller trop loin. Il teste la patience (ou la résistance) des autres. Va jusqu’au bout de l’odieux et s’efforce de balayer l’orage qui vient avec un regard doux et charmeur, avec un beau sourire. Ce midi, je ne sais plus quelle remarque l’a contrarié. Il s’est mis à faire la tête. Puis s’apercevant que son attitude laissait tout le monde indifférent, il a fixé Amélie droit dans les yeux, a pris sa canette d’Orangina et consciencieusement, toujours en la regardant, en a versé tout le contenu sur son homard. Au chapitre des souvenirs, je crois qu’il n’oubliera pas de sitôt la retentissante paire de claques qu’il a reçue.