Plus d’un mois que je n’ai rien écrit dans ce journal. J’émerge à peine d’une grande lassitude. D’un insidieux désintérêt pour les jours. Enfin pas tous. Mais la drôle d’atmosphère qui a pesé sur le village après la mi-mars n’est sans doute pas tout à fait étrangère à cet éreintement. C’est qu’une partie de la municipalité a très mal pris en effet la pétition des riverains de la Croix Paquerey et ma lettre d’alerte au sujet de cette histoire de parking sur la falaise. Du jour au lendemain, certains des édiles se sont mis à « bouder ». Ils ne disaient plus bonjour à ceux qui avaient signé ces documents contestataires. Les uns, les autres, me racontaient la soupe à la grimace devant les étals du marché le jeudi matin. Pour un peu, on se serait cru dans cet album d’Astérix (lequel déjà ?) où tout le monde se fait ostensiblement la gueule. A bove ante… Je suis resté prudemment dans mon terrier. Mais tout cela a fini par se calmer. Jean-Marie a organisé une réunion à la mairie. Nous avons déjeuné ensemble… Ca aurait été dommage d’en rester là. Et le parking ? Bah. On n’en parle plus… Comme si le projet n’avait jamais existé. Jeanne et Claire sont venues passer le week-end de Pâques à la maison. Ca a été de belles journées. Je ne connaissais pas Claire qui fait partie, avec Jeanne, si j’ai bien compris, du petit groupe de Pilates où va Amélie le mardi soir. Une jeune femme douce, avec ce joli courage de ceux qui sont un peu seuls, un peu tristes et qui s’efforcent de n’en rien laisser paraître. Grandes balades, longues soirées. Une bouteille de pouilly à la terrasse du casino de Jullouville. Il a fait beau soleil. Le lundi nous étions invités à partager l’agneau de Pauillac chez Martine et Jean Pascal. Et puis nous avons eu d’autres visites aussi. Christine et Dominique passés le temps d’un verre un soir sur le chemin de leur retour à Paris. Nathacha et Bernard venus déjeuner avec Neela (qui grandit, comme disait ma mère, « en grâce et en sagesse »…). Pauvre Neela, si brillante, si légère, qui se remet juste d’une histoire de harcèlement à son école. Elle n’en avait rien dit à ses parents qui ont découvert assez tard le problème. Les enfants peuvent être affreux, cruels. Et la force est rarement du côté de l’intelligence et de la sensibilité. Nous sommes allés à Vienne quatre jours fin avril. J’y avais emmené Marie à l’autome 2014 pour ses trente ans et je m’étais juré d’y retourner avec Amélie. La météo s’annonçait épouvantable, mais c’est à peine si nous avons eu quelques gouttes de pluie à l'arrivée. Nous nous sommes sentis bien à Vienne, comme je l’espérais. Nous avons arpenté la ville en tous sens, incroyablement contents, heureux. C’est qu’il y a là-bas une douceur toute particulière, à la fois joyeuse et mélancolique, et qui nous a emportés. Nous avons visité l’exposition des dessins, gouaches et aquarelles de Schiele à l’Albertina, et nous avons vu aussi, au musée Léopold, toute une rétrospective Carl Spitzweg dont je ne connaissais que le Bücherwurm (textuellement « le ver des livres »), cette toile représentant un vieux bibliophile juché sur un escabeau au milieu de ses rayonnages. J’ai découvert un univers tendre et ironique. Désenchanté. Des toiles qu’on croirait faites pour illustrer des Bouvard et Pécuchet comme ces Amis de jeunesse (Die Jugendfreunde) représentant les retrouvailles de deux enfants vieillis (oh, ils ont bien la soixantaine). L’un, en tenue de voyage, et encore tout encombré de sa valise et de son parapluie, descend d’une patache. Le cocher suit, portant sa malle. L’autre, vêtu d’une robe de chambre rouge, au perron de sa maison, une pipe bavaroise à long tuyau à la main, ouvre les bras à son camarade. Chaque détail est fascinant d’importance. On trouve comme cela un Chasseur de papillons (Der Schmetterlingsjäger) ou une Promenade du dimanche (Sonntagsspaziergang). Et des œuvres dont la gravité transparait plus clairement sous la « scène de genre » comme ce Veuf (Der Witwer) où un homme entre deux âges, vêtu de noir, assis sur un banc dans un parc, regarde passer deux jeunes filles. J’ai été content de montrer à Amélie l’extraordinaire museum d’histoire naturelle dont je lui avais tellement parlé. Reviendrons-nous à Vienne ? Nous avons organisé les deux dernières rencontres littéraires de la saison avec Sylvie Aymard en avril et Pierre Adrian en mai. J’oubliais les élections quoi qu’il n’y ait rien à en dire. Et enfin Marie a passé ce dernier week-end avec nous. Le jardin est couvert de roses. Elles ont éclot partout. Les deux Cecile Bruner font une vraie cascade aux branches des sapins. Les Adélaïde d’Orléans courent en guirlandes derrière la maison. Le Generous gardener couvre d’une arche la porte de la resserre. Tous les rosiers croulent. Il faut que j’en profite. Cette année encore, je n’ai rien vu du printemps ou à peine. Les mimosas, les magnolias, les narcisses. A peine on s’émerveille un matin que tout a disparu. Les Halopeanum ont été superbes. Ils sont déjà fanés. Et j’ai laissé filer les marronniers en fleurs. Je voulais aller les voir à Senlis. Cette envie que j’ai depuis si longtemps. Le temps passe. Nous irons l’an prochain, c’est promis, m’a dit Amélie.