J’ai retenu la voiture de location pour notre voyage à Morvillars en novembre. Maintenant tout est à peu près organisé. Retrouvé encore dans les papiers de mon père une autre lettre que lui adressait Felix Broche. Une photo aussi, prise à Auckland, en Nouvelle-Zélande, en novembre 1940. Ils sont tous les deux, posant, en uniforme de capitaine, dans le hall d’un hôtel, leurs gants dans une main, l’autre dans la poche du pantalon et la cigarette au bout des doigts. C’est un cliché pour le New-Zeeland Herald. J’ai mis la main sur la coupure de presse : FRENCH ARMY LEADERS IN PACIFIC : Captain Félix Broche (left) and captain François Houssin, Free French officers, who are visiting Aukland. Ils viennent d’arriver de Tahiti par le Ville-d’Amiens avant de rejoindre Nouméa… François Broche à qui j’ai bien sûr transmis tout cela m’écrit : La photo est formidable ! Nos pères étaient vraiment de « vieux copains », même s'ils n'hésitaient pas à s'engueuler en toute amitié... J’aimerais bien me rapprocher davantage de François Broche, mais je ne sais pas bien comment. Et puis j’hésite, tant me trouble cette espèce de hasard qui nous a fait nous rencontrer. Qui nous a forcés à nous rencontrer, si l’on veut, un peu comme si le passé avait mis le pied dans la porte. Nous avons seize ans de différence. Il n’a pas connu son père, mort en campagne quand il avait deux ans, mais il sait énormément de sa vie, de son engagement et il a pu porter très loin sa mémoire. Je n’ai connu mon père que sur le tard quand il ne disait rien ou presque et que je n’osais pas (je me disais qu’au fond, ça m’était égal) le questionner. Du coup, je ne connais rien de lui. Il me faut tout réinventer.