Je vais m’y remettre… A quoi déjà ? A tout. A mon journal que les lacunes successives transforment en dentelle. A mon roman, sans cesse revenu à son point de départ (je pense, à ce sujet, à « Lou fùsioù de mestre Gervais », la chanson composée par le président Ladevèze, qui circule dans Tarascon au moment où le départ de Tartarin devient de plus en plus hasardeux. Il était question, écrit Daudet, d’un certain grand chasseur appelé maître Gervais, dont le fusil redoutable devait exterminer jusqu’au dernier tous les lions d’Afrique. Par malheur, ce diable de fusil était de complexion singulière : on le chargeait toujours, il ne partait jamais… Il ne partait jamais ! Vous comprenez l’allusion…). A cette malheureuse nécro de Juan Goytisolo que Florence me réclame depuis plus d’un an maintenant et que je ne parviens (pourquoi ?) toujours pas à écrire. A mes CV à adresser aux écoles de journalisme maintenant que mes cours à la fac sont hélas terminés. A une foule de démarches, de rangements, de mises à jour. A mon courrier. Ma To do list s’allonge à l’infini et mon obsession me ligote. Par quoi commencer ? Nous sommes allés passer Pâques au Mexique. Marcus et Virginie nous avaient préparé un court voyage en famille pendant la Semaine sainte dans les villes coloniales. Guanajato, San Miguel de Allende, Quéretaro… Nous sommes rentrés par Tepotzotlán et l’ancien collège Saint-François-Xavier devenu maintenant un musée d’art religieux labyrinthesque et fabuleux. L’intérieur de l’église déborde de baroque churrigueresque. Pas un centimètre carré qui ne soit sculpté, doré. L’âme y volette comme un petit oiseau dans les rayons du soleil. Encore un séjour au Mexique. Chaque fois je laisse là-bas une minuscule part de moi. Qui se dilue dans le bonheur d’être auprès de ces quatre petites filles. Camille, Victoria, Valentine, Apolline, ma filleule qui aura quatre ans cet automne. Petites filles ? Camille a quatorze ans. Et sa jeunesse toute neuve l’entraîne vers sa vie. Les événements nous emportent. Il y a eu le baptême d’Antoine à l’église de Saint-Cloud. Il se débattait comme un diable sur les fonds baptismaux. Gilles Leroy est venu à nos « Rencontres » de Carolles pour son livre Le monde selon Billy Boy. Sur les sentiers de la falaise, avant le débat, nous avons timidement évoqué nos enfances. Nous sommes proches, sans trop le dire, entre Maman est morte et La mort de ma mère. Et j’avais réalisé en lui parlant que, la semaine suivante, justement, c’était le neuvième anniversaire de ce grand chagrin qui chaque jour, encore, me déchire. Amélie voulait que nous nous rendions au cimetière déposer des genêts sur la tombe. Je n’ai pas réussi à y aller. Douloureux printemps. Le dimanche suivant, Mme Bassard tambourinait à la porte. Elle revenait de Coquelonde, de chez Simone, la mère de Jean-Pascal. La maison est fermée. Tous les volets sont tirés. Il lui est sûrement arrivé quelque chose. Rien à faire pour entrer. J’essayais de forcer une ouverture. Amélie cherchait une clé cachée près du bûcher, dans le jardin… J’ai appelé Jean-Pascal à Caen. Il est arrivé deux heures après avec un double. Mais l’étage était verrouillé. Les pompiers ont dû défoncer la porte palière. Simone était morte pendant son sommeil. Martine nous a rejoints, laissant Agathe avec Amélie. La maison a été envahie. Gendarmes, pompes funèbres. Hervé Guillou, le premier adjoint au maire. Un voisin médecin est venu signer le certificat de décès. Je n’ai pas aimé comme les employés de chez Guérin se sont comportés. « L’assistant funéraire » goguenard et balourd avec son téléphone portable à la sonnerie stupide. Son comparse qui s’est empressé de son côté sans en informer personne d’emballer le cadavre dans un sac plastique. Je n’avais rien à dire. Alors, je n’ai rien dit. Sauf, comme les deux s’apprétaient à filer en catimini avec Simone empaquetée, ça a été plus fort que moi : Je voudrais quand même regarder cette dame passer une dernière fois le seuil de chez elle ! Ils l’ont ficelée sur un brancard. L’un a posé son porte-documents sur le corps avant d’embarquer le tout dans leur fourgon. Pauvre Jean-Pascal. Dévoré de chagrin contenu. Pas sûr qu’il ait rien vu de tout cela. Les funérailles de Simone ont eu lieu le vendredi suivant. Nous étions à Rome depuis deux jours. A l’heure de l’enterrement, le 15 mai au matin, nous nous trouvions dans l’église Saint-André-du-Quirinal. Des choristes américains répétaient un motet de Palestrina. Nous avons été heureux à Rome. Tout était empli de douceur. Nous reviendrons. Amélie a voyagé pour ses auteurs. Cannes, Lyon, Saint-Malo. Moi, je suis resté à Carolles. Je me suis occupé du potager. Et du jardin.