J’ai fracassé la théière. En ouvrant le placard, un poivrier en équilibre instable est tombé sur le bec de la verseuse. Brisé net. Heureusement, elle était vide. J’ai regardé un peu hébété le contraste entre le blanc de la porcelaine et le brun brûlé du tanin uniformément déposé à l’intérieur. Des années de patine. Je l’avais achetée lorsque j’avais emménagé rue du Moulin-Vert au moment de mon divorce. Je me suis senti navré. Je vais la recoller et m’en servir comme pot à fleurs à Carolles pour mes petites primevères Gold-Lace du printemps. Je n’aime pas que les objets meurent, qu’ils disparaissent. Je suis étrangement attaché aux miens. A ceux qui m’accompagnent. Qui m’ont accompagné. Au-delà, je fais mes sauvetages. Dans les vide-greniers, aux ventes Emmaüs, chez les antiquaires, je recueille tout un tas de bricoles abandonnées. J’apprivoise leur mémoire. Je les réveille. J’ai rédigé mon papier sur Pirotte pour Le Monde. Sur ses textes posthumes : Portrait craché, son « roman » au Cherche Midi. Et aussi ses recueils de poèmes : À Saint-Léger suis réfugié à L'Arrière-Pays et Une île ici au Mercure de France. Is all our life then but a dream ? Je garde depuis longtemps ces mots du Sylvie et Bruno de Lewis Carroll comme une sorte de devise. Pirotte a toujours considéré la vie comme imaginaire. À commencer par la sienne. Et je le rejoins tellement. Je suis allé chercher Gabrielle à la maternelle à Saint-Cloud. Elle dort à la maison ce soir. Demain nous l’emmenons à un spectacle pour enfants aux Folies Bergère. J’ai pris un taxi tant j’avais peur d’arriver en retard. Toujours cette incapacité que j’ai à voyager en banlieue. Retour en tramway. Mon Dieu que c’est loin, que c’est long. Tellement étranger