Amélie est venue avec moi à Saint-Malo. Nous avons réservé une chambre dans l’hôtel où elle a l’habitude de descendre pour le Festival Étonnants voyageurs. Moi, cela fait des années et des années que je ne suis pas venu par ici. Nous avons posé les bagages, fait quelques pas sur le Sillon. Marée basse. Je suis allé « reconnaître » le collège. Il est sur les hauteurs de la ville, entre le quartier de la Découverte, logements sociaux et zone pavillonaire triste, et de grandes et belles maisons XVIIe aux jardins clos de murs. J’avais rendez-vous après déjeuner. Amélie m’a déposé devant la grille. Bonjour au proviseur. Nous avons pris la rituelle tasse de café. Du sucre ? Vous voulez un biscuit ? Cette année, en plus du projet d’écriture à essayer de mener avec les élèves, je devais amener un livre qui m’était cher et tenter de leur expliquer pourquoi ce texte continuait de m’accompagner à travers les années. J’avais choisi (bien sûr) Alice de Lewis Carroll. Là aussi, Karine, leur professeur, m’avait averti. Quelques-uns ont vu le dessin animé. Mais pour la plupart, cela ne leur dit rien du tout. Nous nous sommes trouvés assez vite. Alice parle d’adolescence aussi. De changements brutaux, incompréhensibles. De langage codé. J’ai bien vu qu’il en était quelques-uns à qui le fameux passage du chapitre II (hier, les choses se passaient normalement. Je me demande si on m’a changée pendant la nuit…) évoquait vraiment quelque chose. Nous avons bavardé. Enfin, ils m’ont surtout écouté, dans cette lisière du regard des autres où il ne faut pas avoir l’air trop intéressé. Pas facile pour eux. Il y en a qui se débattent. D’autres qui depuis longtemps se sont laissé sombrer. Et toute cette masse qui flotte. Mais qu’est-ce que je peux faire ? J’ai repensé aux quatrièmes et aux troisièmes de David Rodrigues au collège Eugène Varlin au Havre en 2010. A Lobna qui avait écrit, tout en distance, la douloureuse histoire de sa mère, à Justine qui s’était inventé un conte d’une grande douceur et qui me répétait : Vous ne trouvez pas que c’est mieux qu’en vrai ? Nous avons regardé les photos que j’avais apportées : des paysages, des détails d’architecture, des objets, des animaux, des plantes. Qu’est-ce que ça vous évoque ? Qu’est-ce que vous pouvez y trouver qui vous ressemble ? La sonnerie les a éparpillés. Je suis rentré à l’hôtel à pied en longeant les bassins du port. Appelé Libé pour les billets d’avion de mon reportage sur Violaine Bérot. Aller et retour Paris-Toulouse le 26 dans la journée. Retrouvé Amélie. Je voulais aller sur la tombe de Chateaubriand au Grand Bé, mais la marée était haute. Impossible d’y accéder.