C’était les six ans de Thomas hier. J’ai raté son anniversaire. Je ne crois pourtant pas être coupable de manque d’attention, mais je n’ai aucune mémoire des dates. Il faudrait que je note. Je note d’ailleurs. Mais souvent j’égare ce que j’ai noté. En fait, je ne sais pas compter. Dans ma propre vie aussi, les repères se brouillent. Si je veux préciser un moment, je manœuvre en partant à rebours de l’année de mon baccalauréat, en 1973. Ca donne : 1972-1973/ terminale, 1971-1972/ première. Ainsi de suite. Dans l’autre sens, ça ne fonctionne pas bien. La méthode est idiote. D’autant que mes souvenirs ne collent pas forcément aux années. Ils flottent épars, sans liens. Ne sont que des impressions. D’où cette nécessité et cette difficulté de retrouver le temps, tout ce temps, en écriture. Et de l’habiter. Restent les lieux. Ce sont eux qui me font des repères. C’est dommage pour les six ans de Thomas. J’aime beaucoup ce petit garçon. J’espère qu’il n’aura pas été déçu. Je me rattraperai. J’ai mis mon nez dans la pile de romans de rentrée arrivés à la maison. Fait un peu de courrier. Je suis passé dans le quartier Saint-Germain prendre un paquet que Brigitte voulait me remettre et j’ai été chercher Amélie à son travail. Julien Cendres nous avait invités à une soirée au Désert de Retz à l’occasion des dernières rénovations des fabriques. Noëlle nous avait prêté sa voiture. L’endroit est bien à trente kilomètres de Paris, à Chambourcy, après Saint-Germain-en-Laye. Je n’avais pas mis les pieds là-bas depuis le début des années 1980. A l’époque, il fallait passer par-dessus le mur d’enceinte pour s’aventurer dans ce domaine irréel créé à la fin du XVIIIe. Il y a bien la pagode de Chanteloup à Amboise, le parc un peu à l’abandon du château d’Ermenonville avec le tombeau (vide…) de Rousseau, mais je ne crois pas qu’il existe encore, dans l’état, un autre de ces jardins anglo-chinois « philosophiques » où les riches lettrés jouaient à se retirer au désert, comme Alceste. J’étais tout ému d’y retourner. Des tentes étaient dressées au pied de la Colonne détruite. Champagne. Ambiance siècle des Lumières avec de nombreux comédiens en costume, cavaliers, fauconniers… Après les discours officiels, Frédéric Mitterrand a remis à Julien sa décoration de chevalier des Arts et Lettres. Nous sommes allés le féliciter et l’embrasser. Je ne l’avais pas vu depuis la parution des Œuvres complètes et des Lettres retrouvées de Radiguet à l’automne dernier. En 1997, il avait consacré un très beau livre au désert de Retz. C’est à cette occasion que nous nous étions connus. Nous sommes rentrés doucement à Paris. Diné sur le chemin, au Jardin d’Asie, à Malakoff, le restaurant thaïlandais où j’allais souvent avec Marie quand elle était une petite fille. Décidemment, quel voyage dans le temps.