J’ai fait un marché rapide à Saint-Pair. Deux barquettes de fraises, une botte de radis ronds, une laitue rouge. Pas vu la camionnette de M. Levivier, le boucher d’Annoville. J’ai dû pousser jusqu’à Granville pour trouver le grenadin de veau du dîner. J’ai lu tout l’après-midi. Presque terminé le Pierre Vielletet, Oui j’ai connu des jours de grâce, un gros volume qui rassemble, chez Arléa, les sept livres qu’il y a publié. Es-tu lecteur de Veilletet ?, m’avait demandé Raphaëlle la semaine dernière. Je m’étais rappellé du Vin, leçon de choses, que j’avais découvert il y a bien vingt ans et de ce court chapitre où il parlait de remonter le temps. Veilletet était journaliste à Sud-Ouest. Il est mort en janvier dernier. J’ai été embrasser Georgette. Elle fait peine en ce moment. On la voit lutter à remonter le courant. Se laisser emporter à nouveau. Ca va tout doux, tout doux… Elle garde ses inquiétudes au secret dans son âme. Ses souvenirs aussi. Plus envie de les partager. Qui comprendrait vraiment ? Seul lui reste un présent lent et sans surprises. Pierre est passé à la maison. Il est à Carolles pour quelques jours. Après avoir fait pas mal de petits boulots, écrit des papiers cinéma sur des sites internet, traîné une thèse jamais achevée sur South Park, il vient d’être embauché à Canal + pour l’émission « Le Zapping ». En fait, il est veilleur. Il regarde la TV de longues heures à la recherche de séquences drôles ou étranges. Ces petits instants mis bout à bout forment une espèce de journal décalé. Jamais vu, je crois. Nous n’avons pas la TV. Nous ne la regardons qu’au hasard des chambres d’hôtel… Il m’a parlé de l’écriture d’un film qu’il veut réaliser. En 2010, il avait projeté à Carolles un premier court métrage d’une dizaine de minutes, Dans ces eaux-là. Une histoire comme rêvée, où une femme égare son enfant sur une plage. Et le retrouve des années après. On ignore tout de ce qui a bien pu se passer. Son projet d’aujourd’hui prend place dans le huis clos d’un taxi, le temps d’un long trajet. Je commence juste. Tu voudras bien me donner ton avis ? Nous sommes restés longtemps à bavarder. Noëlle a téléphoné, elle s’inquiétait un peu de ne pas voir revenir son fils. Il est encore chez toi ? Je suis allé chercher Amélie à la gare. Nous n’étions que trois à Granville à attendre le train.