Envoyé le papier à Christine. J’ai été content de l’écrire. Pierre Benoit a été un auteur dont le nom m’a été familier lorsque j’étais enfant. Georgette, ma marraine, empruntait ses romans à la bibliothèque de Roubaix. Elle les avait presque tous lus. Son préféré était, je crois bien, La châtelaine du Liban : l’histoire d’une comtesse veuve possédant une étrange citadelle au milieu du désert. Ma mère était moins enthousiaste. Cela tenait surtout à Fort de France, une intrigue qu’il avait écrite dans les années 1930. Comme elle avait passé plusieurs années en Martinique, elle pointait les approximations et les erreurs. Elle riait beaucoup notamment de ce que les héros se reposent à l’ombre des ananas en fleur. À l’ombre des ananas, tu te rends compte Georgette. C’est comme les artichauts : de petits buissons qu’on cultive en champs ! J’avais quatorze ans quand j’ai découvert L’Atlantide. Et que je suis tombé amoureux d’Antinéa. Le temps passe comme un souffle. Il aura fallu le cinquantième anniversaire de sa disparition, cette biographie de Gérard de Cortanze et la réédition de cinq ou six des ses titres pour que je retrouve ces souvenirs et ses émotions-là. Et j’ai appris beaucoup sur Benoit. Auteur à succès fragile et inquiet. Inquiet et généreux jusqu’à l’absurde. En 1945, on l’accuse « d’intelligence avec l’ennemi », alors qu’il a été exemplaire. Collabo Benoit ? Allons donc… Malgré un dossier d’accusation vide, il reste pourtant plusieurs mois en prison. Résistants de la dernière heure, dénonciateurs de l’épuration. Il y a tant de jaloux, il y a tant de méchants. Il ne se relèvera jamais de cette meurtrissure. J’ai relu L’Atlantide et Koenigsmark. Lu enfin La châtelaine du Liban… En exergue à sa biographie, de Cortanze a mis cette phrase de Pierre Benoit. Tout mon effort n’aura consisté qu’à mettre en valeur les trésors accumulés, à mon insu, durant mon enfance. Quelquefois on se retrouve simplement.