Courte nuit. J’ai terminé tard ce matin mon portrait de Rezvani pour Le Monde. Je m’y suis mis encore une fois à la dernière minute. J’ai vraiment du mal à faire autrement. Mi-janvier, à Caen, j’étais invité à parler devant des lycéens qui avaient sélectionné La fausse porte pour un prix littéraire. Comment écrivez-vous ?, m’avaient-ils demandé. Que ce soit pour mes papiers ou pour les livres : en retard, toujours en retard. Ou plutôt à l’extrême limite du faisable. Du possible. Je leur ai parlé de la dissertation qu’on doit rendre le lundi et qu’on repousse jusqu’au dimanche soir. Ca les a fait rire. Je ne suis pas sûr d’en rire autant qu’eux. Parce que je ne profite pas du moment qui précède. Ce temps se moisit d’inquiétude et d’inaction. J’avais vu Rezvani au début du mois, chez lui à Paris, près de la place Blanche. Il venait de publier aux Belles Lettres, Ultime amour, une nouvelle « séquence » intime où il revient sur l’horreur des derniers moments de Lula, sa compagne pendant cinquante ans, morte en 2004, et où il raconte l’improbable renaissance amoureuse qu’a été sa rencontre avec Marie-José Nat. A bientôt quatre-vingt-quatre ans, il est étonnant de fougue et de douceur mêlées. Il n’était sans doute pas allé jusqu’au bout de sa chronique des années obscures (L’éclipse) où il racontait comment sa Lula s’était enfoncée sans rémission dans l’effroyable absence de la maladie d’Alzheimer. Il lui fallait parler aussi de la violence, des humiliations, des lâchetés. Ultime amour est un impitoyable réquisitoire contre les profiteurs, les prédateurs du malheur. Ces « braves gens » auxquels on se soumet faute de pouvoir affronter seul la situation et qui se révèlent d’inquiétants voleurs. Ces voisins, ces amis qui vous abandonnent, ou pire, parmi ceux qu’on imaginait les plus fidèles, qui s’emparent de votre désarroi. On ne lui a rien pardonné. Ni un roman vengeur (Le dresseur) qu’il avait rageusement rédigé à l’époque pour laver le poison des jours. Ni, non plus, son amour salvateur pour Marie-José Nat. J’en sais qui n’ont pas compris que je ne me suicide pas, m'a-t-il dit. Je suis sorti de la rencontre bouleversé. Pas simple de l’écrire en 5000 signes.