J’ai passé la journée à rédiger mon portrait de Pirotte pour Le Monde. Hier, Christine m’avait téléphoné. Tu devais le rendre il y a déjà un moment, non ? Elle a raison. J’ai vu Jean-Claude Pirotte le 4 août et depuis je ne suis pas parvenu à écrire une ligne ce fichu papier. J’ai essayé pourtant. J’avais repris mes notes au propre, relu les livres que j’avais rassemblés. Mais à chaque fois que j’essayais de m’y mettre, je me sentais envahi de tristesse sourde. Je le revoyais me faisant signe sur la route de Réchésy. Me revenaient sans cesse ces mots de Cavale : J'ai vécu, il faut vivre, avec le vent, la poussière, la pluie, les paperasses, la mauvaise littérature, les amis disparus, les douleurs arides. Lignes de fuite. J’avais peur de ne pas trouver les mots. Tu l’envoies vendredi ? J’en étais à un bon tiers, à me débattre avec les émotions, quand se sont installés sous les fenêtres le couple infernal de musiciens ambulants qui sévit rue Daguerre. L’un souffle dans une trompette reliée à un ampli, l’autre braille dans un micro. La dernière fois, je me souviens, ils trémollaient Qui saura, qui saura, qui saura Qui saura me faire oublier dites-moi... Aujourd’hui c’était La cucaracha. Ca traversait le double vitrage. Un cauchemar. Malgré les boules Quiès je les entendais encore. La cucaracha, la cucaracha.