Départ pour la gare ce matin, dans la nuit, toujours sous la pluie. Nous étions un peu juste. A peine Amélie s’est-elle installée que les portes du train se sont fermées. Tant mieux. Ces minutes de nos séparations sur le quai à Granville m’apparaissent de plus en plus en plus longues. De plus en plus lourdes. Je me suis recouché en rentrant. Torpeur de mauvais rêves. Au réveil, le ciel séchait comme un grand drap gris pesant sur la corde. Je suis allé au bourg poster les lettres. La visite quotidienne à Georgette. J’ai mis du rosé au frais pour toi. Nous avons parlé de ma grand-mère Angèle. Mon Dieu, qu’elle a eu de la misère… En février 1930 quand Marie-Louise et Georges, ses bébés, deux ans et demi, un an et demi, avaient été emportés à quelques jours d’intervalle par je ne sais plus laquelle de ces maladies qui tuaient les enfants, elle était restée de longs jours prostrée. Assise sur une chaise à ne pouvoir bouger. Tout l’avait abandonné. La maison reposait sur sa fille aînée, Agnès. Quatorze ou quinze ans. Elle, rien à faire. Et puis l’argent qu’il n’y avait plus du tout, du tout, une fois payé les deux enterrements. Plus un seul sou pour faire vivre la famille. Elle avait pensé se jeter au canal de Roubaix. Heureusement, dit Georgette, nous étions rue Pujet et le canal était loin. Ma grand-mère, Mamoÿ, je pense à elle souvent. Et beaucoup en ce moment. Je ne sais pas comment elle a fait pour rassembler autant de courage dans un corps aussi frêle. Elle était si petite. Si fragile. Comme je m’en souviens bien. J’ai travaillé. Un chapitre. J’avance.