Déjeuner avec Nadine chez Claude Saint-Louis. Nous avons parlé de sa rentrée littéraire. Déjà… Je suis en retard. J’ai peu lu. Je commence à peine à regarder les programmes. Ca fait longtemps qu’on ne s’était pas vus, non ? J’ai regardé mon agenda : fin janvier. Les mois ont passé comme un souffle. J’étais dans le bus, revenant d’être allé acheter tout un fourniment de bricolage pour l’appartement quand j’ai reçu un coup de fil de Noëlle, l’épouse de mon (demi) frère. Jean est mort ce matin d’une méningite foudroyante, contractée dans les suites d’une infection post-opératoire. Il s’est écroulé d’un coup vendredi dernier et a sombré dans un coma dont il ne s'est jamais réveillé. Il venait d'avoir soixante-douze ans. Le trajet m’a paru très long jusqu’à la maison. J’étais étrangement peiné d’une foule de choses. Etrangement, oui, car je n’aurais jamais imaginé la tristesse dans laquelle m'a plongé la nouvelle de sa disparition. Nous ne nous connaissions pas Jean et moi. Ou si peu, ou si mal. Je n’avais su son existence qu’au moment où mes parents s’étaient retrouvés au début des années 1970. Sa mère venait de mourir. Mon père pouvait se remarier. Je me souviens être allé sonner à sa porte, à Montmorency, sans prévenir de ma visite. Personne. Il m’a avoué plus tard n’avoir pas ouvert après un regard à l’œilleton. Qui c’est celui-là ? Notre père n’avait pas été très heureux de mon initiative. Il aurait voulu, m’avait-il dit, organiser lui-même une rencontre entre nous. Il ne l’a jamais fait. Nous nous sommes finalement donné rendez-vous un jour, place de Fontenoy, où il occupait, après avoir longtemps navigué dans la Marine nationale, je ne sais quelle fonction au ministère de la Marine marchande. Nous nous sommes reconnus. Il y avait bien un air de famille. J’habitais à l’époque rue de Grenelle. Nous avions marché jusque chez moi. Je n’avais plus de café. Nous avions bu du gin tiède. Pas de glaçons non plus. Que pouvions-nous nous raconter ? On ne s’est guère revu. Les occasions ont été rares et nous avions, l’un comme l’autre, hérité du silence de notre père. Nous nous y sommes affectueusement et fermement enfermés. Plus que d’autres, il nous fallait sans doute du temps pour nous rapprocher. Cette gêne du longtemps s’était un rien levée avec sa venue à notre mariage à Grasse l'été dernier. Nous n’en aurons pas profité. Voilà. J’avais aussi une sœur, Monique, morte petite-fille en 1932. Un autre frère, aîné, Francis, né en 1927, jamais vu, fâché avec mon père pour une raison obscure. Décédé peu de temps avant lui sans qu’ils se soient réconciliés. Famille morte. Il ne me reste que des questions à jamais sans réponses.