J'ai pris le train tôt à Saint-Lazare ce matin. J'étais attendu au Havre pour la première d'une série de trois rencontres avec les élèves de quatrième du collège Eugène Varlin. Trajet en voiture par le front de mer. Je ne peux pas vous emmener directement, m'a dit Mme Houdoin, la principale, vous auriez une trop mauvaise impression pour une première fois. Il faut reconnaître que le peu que j'ai vu de la ville n'est pas très engageant : des avenues au carré et des blocs d'immeubles plutôt « soviétiques ». Tout a été rasé pendant la Seconde guerre mondiale. Reconstruit en béton. Le centre a beau avoir été inscrit, il y a quatre ou cinq ans, au patrimoine mondial de l'humanité, je reste hermétiquement insensible à ce genre d'architecture. Nous avons fait une grande boucle par Sainte-Adresse et ses jolies villas et avant de rejoindre le quartier de Caucriauville, à l'est, sur les hauteurs, où se trouve l'établissement. J'y ai fait la connaissance de David, l'enseignant de français qui m'accueillait dans sa classe. Il m'a présenté aux élèves, des filles et des garçons de treize-quatorze ans. J'appréhendais un peu. C'est la première fois que je m'adressais à des collégiens. Je garde, douloureusement, le souvenir de cet âge-là. Une période bizarre où l'on vous apprend à ne plus être un enfant, mais où l'on n'est pas bien sûr de vraiment vouloir grandir. Il le faut, paraît-il... Tous avaient lu 16 rue d'Avelghem. Ils m'ont bluffé d'intelligence, de sensibilité. Tous. Avec eux, je n'ai pas vu le temps passer. Nous avons ébauché ensemble un projet. Pour qu'ils écrivent. Nous allons correspondre avant de nous revoir prochainement. J'ai hâte de revenir là-bas. Dans ce moment où je suis en train de démarrer l'écriture de La fausse porte, j'ai la certitude que cela va m'aider. Qu'ils vont m'aider. Drôle de sentiment. Cette journée d'échanges m'a fait retrouver une part vivante de moi-même. C'est ce qui me manquait. Au retour, le wagon était bondé. Je me suis collé des boules Quiès dans les oreilles. J'ai rédigé le portrait d'Arrigo Lessana. Rejoint Amélie à l'appartement. Drôle de semaine. On se sera vus tellement peu.