Il a fait beau toute la journée. Un ciel de grands fonds teinté de minuscules nuages roses. J'ai planté le cotoneaster lacteus acheté la veille à Granville. Cueilli des pommes. Taillé les rosiers. Qu'est-ce qui me retient dans la journée? J'ai du mal à profiter du temps comme il vient. Des petits cadeaux d'existence. As-tu fait aujourd'hui ton devoir d'Etat ? Cette phrase du père Lilllig, le confesseur de la division des petits quand j'étais au Collège Saint-Vincent, me revient sans cesse. J'ai peur de me la poser au soir et de répondre : Non, j'ai laissé aller les heures. Tout a filé, tout a passé. Qu'as-tu fait ? - Rien. Nous sommes allés voir Georgette après la messe. Elle avait besoin de parler. C'est mieux quand on discute, a-t-elle dit simplement après nous avoir donné les oeufs et le gâteau cuit la veille. Henri, son frère, mon oncle, ne va pas bien. Il ne sait plus marcher. Impossible maintenant de faire le tour de la vilaine cité où il habite depuis si longtemps à Wattrelos. Il est veuf. Quand donc est morte ma tante Marcelle? C'était un 19 septembre, le jour de mon anniversaire, mais quelle année ? Henri ne sait plus aller jusqu'au bureau de tabac pour boire une bière, écouter les gens parler. Je ne l'ai pas senti bien, a insisté Georgette. - Je vais l'appeler... J'ai téléphoné à peine rentré à la maison. Jamais on ne se parle. Sauf pour mes livres. Je le sens fier. De quoi? Mais ça me bouleverse. On s'aime bien. Je l'aime beaucoup. Une vie de labeur. Mobylette et Gitanes. Il s'était fait un temps poète de famille. Morceaux de vie rimés. Lui, ça le faisait rire de raconter la vie tout en alexandrins. Et Paul s'est acheté une 404 couleur prune écrasée... Un, deux, trois, quatre-cinq-six. Sept-huit-neuf-dix, onze, douze. Je l'admirais, je l'admire toujours. Je sais bien qu'il va partir en maison de retraite. Une pièce en rez-de-chaussée. Je vais à Mouscron bientôt pour animer une soirée littéraire. Je vais aller le voir... Nous boirons peut-être encore son whisky pas très bon avec dedans une larme de Mandarine Napoléon. J'ai préparé ma table ronde du lendemain à la Société des gens de lettres. Amélie a rangé la maison. Nous avons coupé des dahlias pour Paris. Une drôle de tristesse avait tout envahi. C'est de ma faute. Qu'est-ce qui m'arrive de si loin ? La barrière, refaite de neuf par la peintre était encore sous l'auvent. Nous l'avons reposée sur ses gonds juste pour la fermer. Train de 19h30 avec nos fleurs, nos herbes et nos légumes. On s'est souri. Avant de s'endormir aux cahots de son siège, Amélie a murmuré : Vivement la semaine prochaine...