Petit questionnaire d’actualité avec les étudiants. Je leur demandais qui était Georges Besse et pourquoi on parlait de lui en ce moment. Aucun n’a su répondre. L’un a hasardé que c’était le lieutenant de Mesrine. Bien essayé, mais vous vous trompez de prénom… J’ai voulu procéder par étapes. C’était le PDG de Renault, abattu dans la rue en novembre 1986. - Vous savez par qui ? - Action directe, ça vous dit quelque chose ?- Je sais, c’était des communistes, a dit l’un. – Tu te trompes, lui a répondu une autre. C’est les royalistes. A moins que… Zut, je confonds avec l’Action française. Je tente à nouveau : - Nathalie Ménigon, Georges Cipriani, Joëlle Aubron ? Rien. - Jean-Marc Rouillan ? Quand même... Il a adhéré au parti de Besancenot! Je leur ai tout expliqué, mais cela m’a laissé une drôle d’impression. Comme si le passé fondait en cire molle. Cette geste violente des années quatre-vingt, venue de dix années encore avant, il en reste si peu. Tout hoquête en tombereaux. Ce dont on pensait, pour tant de raisons différentes, que l’on se souviendrait : fini. Le passé des nouvelles ne fait pas d’histoire. Il fuit et il s’efface. Ces jeunes gens et ces jeunes filles sont les croquemorts joyeux des souvenirs. De tous les souvenirs. Après, c’est la culture. Après, c’est autre chose.

En sortant de Censier, je suis allé avaler un sandwich en face de L’Arbre à lettres de la rue Edouard-Quenu. J’ai failli traverser en sortant pour aller dire bonjour à Annabelle, la libraire dont j’avais fait la connaissance du temps maudit de Page. Je n’ai pas osé. Peur de la déranger. Peur aussi qu’après tout ce temps elle pense que je ne la recontacte que par intérêt. Il va falloir pourtant que je prenne mon bâton de pèlerin pour parler de mon livre. Trois mois avant la sortie, il est temps. Enfin, c’est ce qu’on me dit et je m’efforce de le croire.