J'ai achevé à midi mon portrait d'Akli Tadjer pour Le Pèlerin. Répondu au courrier. Je devais retrouver Raphaël pour déjeuner. Il m'a emmené au Bistrot d'Henri, rue Princesse. Nous partageons le même bureau depuis quelques mois chez Buchet. Ce qu'il y a de bien avec lui, c'est que le passé n'est jamais suranné. Je pensais à la phrase de Ferré : Les souvenirs, c'est du présent discutable. Ca s'entend comme on veut. Pour moi, il me semble que ça permet juste de réfléchir à demain. Nous avons parlé de Jean-Pierre Martinet, dont il m'a fait lire Jérôme, à paraître en octobre chez Finitude. Quel livre... Envahi d'une noirceur qu'on agrège au début comme une quête mélancolique et qui finit par infiniment peser et par tout envahir. Il y a deux autres titres qui sortent au Dilettante et à La table Ronde. Je ne connaissais rien de cet auteur mort en 1993 à quarante-neuf ans. J'aimerais bien faire un papier dans Le Monde. En voudront-ils? En début de soirée j'ai pris un verre au bar Bac avec Jean-Pierre Cescosse. Il est mon interlocuteur au C.N.L. pour «Domaine Public». Nous nous étions ratés une première fois en juin. Rien de spécial à lui demander sauf peut-être de m'aider un peu mieux à comprendre comment fonctionne l'institution. Et encore... Je me souvenais bien de Mécréants qu'il avait publié en 2005 ou 2006, mais impossible de remettre la main dessus dans le désordre de nos deux maisons. Nous avons passé, comme on dit, un bon moment. Agréable plutôt. A nous entretenir de littérature de manière reposante. Dans une élégante jovialité et sans enjeux compliqués. J'ai rejoint Amélie et Marie au vernissage de l'exposition Séraphine de Senlis à la Fondation Dina Vierny. Peu de toiles. Assez mal mises en valeur. Je sais que pour une grande part, ma déception vient (une fois encore) de l'idée que je me faisais de l'événement et de toute la charge émotionnelle dont je l'avais entouré. Car c'est le Senlis de mon enfance que je venais aussi retrouver ici. Ma mère m'avait raconté l'histoire de cet étrange peintre. J'ai toujours en mémoire l'atelier qu'elle avait occupé rue du Puits-Tiphaine. J'y passais tous les matins pour me rendre à l'école de la rue Saint-Péravy. C'était alors une forge à l'activité bruyante. Le rougeoiement des braises, la folie de Séraphine. Cela me faisait un peu peur et cela me fascinait. Ont-ils «réhabilité», «muséographié», l'endroit ? Ont-ils apposé une plaque sur la façade ? Senlis me manque parfois. C'est ma ville intérieure. Mais à chaque fois que je m'y rends, je suis effrayé de la puissance de l'émotion qui me submerge. A chaque fois, je me dis qu'il vaudrait mieux ne plus y retourner.