J’ai passé une heure et demie chez Elise Fontenaille. J’avais proposé à Christine une chronique pour Le Monde sur son dernier roman. L’Aérostat dans la ligne de Brûlements recoud ensemble des lambeaux d’histoire de sa propre famille. Effrayantes et séduisantes figures d’un passé XVIIIe qu’elle a découvert à la mort de son père. Christine veut que je traite ça en Atelier d’écriture, cette nouvelle rubrique de page 3 qui s’efforce de démonter et d’observer les petites mécaniques de la création littéraire. Elle a raison. Mais ça ne va pas être simple tant je me sens proche. Question d’époque déjà... Je suis familier de ce siècle depuis toujours. Je m’y suis découvert chez moi dès l’enfance. C’était tous ces livres de la bibliothèque de Mme Bouvier à Senlis. Les gros volumes de L’Encyclopédie dont elle me laissait regarder les planches pendant des heures. Et les après-midi des jeudis aussi, avec ma mère, au musée Carnavalet.

Vous m’avez presque réconcilié avec La Harpe, m’a dit Elise Fontenaille. Ca m’a touché qu’elle ait lu Le premier pas suffit. La Harpe, elle l’expédie en quelques lignes assassines dans L’Aérostat, laissant la part belle à Rétif, à Sade, à Mercier… Je crois qu’il n’y a guère que moi pour trouver séduisant ce vieil oublié.

Elle habite un grand appartement un peu foutraque près du carreau du temple. Le parquet à la hongroise est peint en blanc, les cheminées et les plinthes sont taguées à la bombe argent. J’étais assis sur une espèce de divan à baldaquin de tulle. Elle, en tailleur par terre sur une fausse peau de tigre de Sibérie en peluche, servait de minuscules tasses de thé tiède. Un gros chat noir (je crois que c’était plutôt une chatte) venait se frotter en allers et retours permanents contre mes mollets. Inexplicablement, j’étais bien. Demain, je rédige le papier. Mais je crois vraiment que ça ne va pas être facile.

En sortant, je suis passé à Comme un roman, la librairie de Karine Henry. Elle venait de terminer un débat avec Viviane Hamy. On a bu un verre avec un petit groupe de lecteurs. Karine se désolait encore du peu de presse sur son livre de janvier, La désoeuvre, et me remerciait encore de ce que j’avais fait paraître dans Marianne. Je pensais : C’est juste quelques lignes. Il n’y a pas de quoi faire un plat. Pourtant je comprends. On attend tellement, on est tellement fragile. Elle a porté ce texte dix ans. Il faudrait qu’elle parvienne à s’en détacher un peu pour pouvoir continuer. Je ricane. En donneur de conseils, je me pose là…

J’ai rejoint Amélie dans une autre librairie, rue Quincampoix, où Armistead Maupin, son auteur de L’Olivier, faisait une signature. Nous avons flâné à pied un peu au hasard en rentrant. J’avais l’impression que nous avions été séparés un temps infini. Nous nous sommes arrêtés rue de L’Arbre-sec dans un bar à vins. Un coup de blanc. Un coup de rouge. En rejoignant le Pont-Neuf, dans la dernière partie de rue, nous sommes passés devant le n° 28 où j’ai habité il y a vraiment longtemps maintenant. Nous avons hâté le pas. C’était envahi de fantômes.