Le rosier Étoile de Hollande a fait sa première fleur. J’en ai quatre pieds à l’arrière de la maison. Le plus ancien date de l’automne après la mort de ma mère. Il court maintenant sur l’arceau, avec la vigne, comme dans le poème de Nerval (Rends-moi (…) la fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé/ Et la treille ou le pampre à la rose s’allie). Ma mère avait planté ce rosier quand nous nous sommes arrivés dans la maison de Senlis. La maison, la toute petite maison, était bordée d’une cour sèche recouverte de calcaire concassé. Un désert miniature. Mais elle rêvait d’y faire pousser un jardin. Elle a commencé par le rosier. Elle l’avait trouvé un après-midi d’été où elle baladait ma poussette du côté des remparts. Elle m’a raconté que c’était le parfum l’avait saisie. Une odeur douce, profonde, un peu sucrée, un peu musquée, et si présente, si enveloppante, si enivrante, qu’elle s’était arrêtée. Le rosier couvrait la façade entière d’une vieille maison. Des fleurs rouges, rouges, rouges. Rouge sang, ourlées de pourpre. Une splendeur. Elle l’avait regardé longuement puis s’était enhardie à frapper à la porte. Là, elle avait appris que cette merveille s’appelait Étoile de Hollande. M. Kowalczyk, l’horticulteur de la rue de la Fontaine-aux-Reinettes, lui en avait commandé un pied. En Hollande, justement. Quand elle l’a installé, je n’avais pas deux ans. Nous avons grandi ensemble, le rosier et moi. Je n’ai pas été plus haut que lui bien longtemps. Il m’a dépassé, et de loin. Débordant le treillage et le toit. Du mois de juin jusqu’à la fin octobre, il se couvrait de rouge, répandait son parfum. Il est à tout jamais mon enfance. Lorsque j’ai planté, moi aussi, mon Étoile de Hollande, j’ai appris que cette variété avait été créée en 1918, par un certain Hens Verschuren, rosiériste dans le Brabant hollandais. Ma mère est née en 1918. A Senlis, à l’école de la rue Saint-Péravi, mon institutrice s'appelait Mme Verschuren. C’est elle qui m’a appris à lire et à écrire. Chaque année, le rosier est le premier à fleurir. Dîner chez Brigitte et Yann avec leur amie Muriel et sa fille Juliette. Rentrés dans le temps doux.