Soixante-sept ans aujourd’hui. Pour moi, le temps a vraiment tourné à l’automne. D’ailleurs c’est ce qui se passe au-dehors. Hier après-midi, sur la falaise, il faisait soleil. Ce matin, le ciel est gris, tout poisseux d’une désagréable humidité. La température a chuté. Je vais devoir rentrer mes plantes fragiles dans le koetsch. Je n’ai rien noté dans le journal depuis plusieurs mois. J’ai laissé tomber la correspondance. Et je ne parviens toujours pas à commencer vraiment mon livre. Je gribouille. Au printemps, j’avais dit à Juliette que je pensais le terminer pour la fin de l’année. Ça n’en prend pas vraiment le chemin. En juin pourtant j’ai enfin fait le voyage à Houplines. J’étais content qu’Amélie m’accompagne. Là-bas, j’avais pris rendez-vous avec les dames de l’association d’histoire, Mme Morel et Mme Schlatter, avec qui j’avais un peu correspondu avant que la grande mascarade de 2020-2021 nous empêche de nous déplacer. A Houplines, ma grand-mère Angèle est née en 1889. C’est là que vivaient ses parents et toute sa famille. Elle s’y est mariée en 1913. Elle n’y est retournée que pour enterrer ses parents en 1921. Jamais plus ensuite. La petite ville comptait 7000 habitants lorsqu’elle y vivait. Il n’y en a guère davantage maintenant. Je m’attendais à trouver une sorte de banlieue entassée (Lille se trouve à seulement 15 km), mais j’ai eu le sentiment qu’il était vraiment resté quelque chose du lointain autrefois. On arrive par les champs, blé en herbe et patates. Les vestiges des anciennes usines textiles touchent à des prairies où paissent des vaches, des moutons. Il y a des chevaux aussi. Pas de grands immeubles récents, mais de petites maisons en brique, alignées, deux ou trois étages, guère plus. Nous avons longuement marché le long des rues. La mairie, les deux églises. Nous sommes descendus jusqu’au bord de la Lys. Regardé la Belgique de l’autre côté de la rivière. Je commençais à me faire une idée de l’endroit. A coller au décor les bribes de mon histoire. Sauf qu’en rencontrant les dames de de l’association, j’ai compris que plus rien ou presque n’était à sa place à Houplines. La guerre avait à ce point tout dévasté qu’il n’était resté entre les ruines que le tracé des rues, et encore… On avait rebâti en déplaçant les lignes. Les églises n’étaient plus au même endroit. La mairie non plus. J’étais en terrain mouvant. Elles m’ont aidé à retrouver le passé en filigrane. Nous sommes partis de la rue du Cabu (rue du Chou) où se trouvait la maison natale et elles m’ont guidé comme un aveugle sur les chemins d’Angèle. A moi de les continuer à présent. Nous sommes restés quelques jours dans le Nord. Je voulais rendre visite à Lucien Suel dans sa Tirmande à Ligny-lez-Aires, faire découvrir Bergues à Amélie, revenir au Cap-Gris-Nez où nous étions allés ensemble il y a déjà longtemps. Nous avons fait quelques incursions en Belgique, à Bruges, à la Panne. Déjeuné à La Cloche à Mouscron. Amélie m’a accompagné voir mon vieil oncle Georges (91 ans) dans sa maison de retraite de Lille. Elle m’a tenu la main au cimetière de Roubaix devant la tombe d’Angèle et de Joseph. J’étais dans mes pensées, mes promesses chuchotées, quand, d’une mosquée proche, a retenti, porté par un très puissant haut-parleur, l’appel du muezzin. J’en ai pleuré de rage. Nous avons passé notre dernière soirée avec Gabrielle, la fille de Maureen et puis nous sommes rentrés doucement à Paris, en passant par Gerberoy. Une pensée pour Le Sidaner, qui y habita longtemps, et à sa Promenade des orphelines à Berck (mais ça, c’est encore une autre histoire « embrouillée » du Nord). L’été est arrivé vite. Il est parti tout aussi vite. Nous avons passé quelques jours à Marseille avec Virginie, Marcus et les quatre filles. Ils voulaient découvrir la ville où Amélie travaille. Elle s’y rend moins à présent. Ceux qui l’emploient (ce sont des gens bien compliqués) ont enfin réalisé que l’essentiel de son métier se passait à Paris. Tant mieux. Pour ma part, je ne goûte pas vraiment Marseille. La ville est partout dégradée, bruyante, sale. Hostile même. Mes parents y ont été heureux au début des années 1950. C’est peu de dire qu’ils n’y reconnaitraient rien. Nous avons retrouvé les filles à Carolles une semaine plus tard. Elles voulaient passer un moment seules avec nous et ça a été léger. Et très joyeux.