Je suis seul dans l'appartement à Paris. Nous sommes rentrés aujourd'hui de quelques jours chez Claire et Emmanuel. Cela faisait bien longtemps. Amélie est descendue du train à Marseille où elle travaille depuis décembre. Enfin pas tout à fait puisqu'elle partage son temps entre Marseille et Paris. Elle a quitté Liana Levi pour une toute nouvelle maison d'édition, « Le bruit du monde », qu'a créée Marie-Pierre Gracedieu au sein du groupe Editis. Avant Marie-Pierre Gracedieu avait en charge la littérature étrangère chez Gallimard. Et avant encore chez Stock avec Jean-Marc. C'est là que je l'avais rencontrée. Ici, elle publiera aussi des textes français. Ca démarre juste. Les premiers titres sortent le mois prochain. Amélie s'est lancée dans cette aventure avec un bel enthousiasme. Elle est heureuse, confiante. J'espère que personne ne lui rognera ses ailes. Je suis toujours inquiet. Ces déplacements à travers la France compliquent un peu notre existence. A peine. Cela me fait juste un peu bizarre de la savoir si loin par moments. Une éternité que je n'ai pas mis un mot dans ce journal. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Mais, les mois s'entassant, il me devenait de plus en plus difficile de rompre le silence. Par où, par quoi commencer ? J'écoutais la radio tout à l'heure. Voilà déjà quatre jours aujourd'hui que les troupes russes sont entrées en Ukraine et que les combats font rage. Je me suis souvenu de début août 1990. C'était les vacances dans le sud. Marie allait avoir six ans. J'étais parti tôt en voiture chercher le pain et les croissants du petit déjeuner. Et là aussi la radio... L'Irak venait d'envahir le Koweit. Sur un de ces cahiers que j'ai perdu depuis, j'avais écrit : Est-ce que notre temps est venu ? Tout à l'heure, j'entendais un commentateur dire que l'Europe n'avait pas été touchée par la guerre depuis 1945. Il faut croire que ces gens ont tout oublié. Cette année 1990, la gardienne du 43 rue d'Alésia, Mme Kovacevic, rentrait en Yougoslavie, son pays, pour y passer sa retraite. Elle m'avait montré son village sur la carte dans ce qui doit être aujourd'hui la République serbe de Bosnie. Une génération est passée. Pour nous, il ne s'est pas passé grand chose. Va savoir. J'ai repensé au poème d'Aragon. C’était un temps déraisonnable (...)/ Moi si j’y tenais mal mon rôle/ C’était de n’y comprendre rien