Cela faisait longtemps que je voulais profiter d’un séjour à Veyrier pour faire un petit pèlerinage Anna de Noailles. A Amphion où elle a passé chaque été de son enfance, et à Publier, là où repose son cœur. J’étais persuadé que cela se trouvait tout près de Veyrier, quelque part sur les rives du lac d’Annecy. En fait, Amphion-Publier (il s’agit maintenant de la même commune) est tout proche d’Evian. Donc sur le Léman, à presque cent kilomètres. Je m’étais trompé de lac. Mais nous avions la voiture cette fois. Ca a été une journée un peu étrange. Où l’émotion s’est mélangée à une bonne part d’amertume. C’est qu’il ne reste plus grand chose là-bas. Je me souvenais bien du poème des Forces éternelles : Étranger qui viendras, lorsque je serai morte,/ Contempler mon lac genevois,/ Laisse que ma ferveur dès à présent t’exhorte/ À bien aimer ce que je vois.// Du bout d’un blanc chemin bordé par des prairies/ S’ouvre mon jardin odorant ;/ Descends parmi les fleurs, visite, je te prie,/ Le beau chalet de mes parents.// (…) Pousse la porte en bois du couvent des Clarisses,/ C’est un balsamique relais,/ La chapelle se baigne aux liquides délices/ De vitraux bleus et violets.// Peut-être a-t-on mis là, comme je le souhaite,/ Mon cœur qui doit tout à ces lieux,/ À ces rives, ces prés, ces azurs qui m’ont faite/ Une humaine pareille aux dieux !// S’il ne repose pas dans la blanche chapelle,/ Il est sur le coteau charmant/ Qu’ombragent les noyers penchants de Nouvecelle,/ Demain montes-y lentement. La villa Bassaraba a été vendue. Mais, tout contre, on peut descendre jusqu’à la berge par le « jardin votif » créé par son fils en 1938, sur une bande étroite prise sur la propriété, et où il a fait élever un cénotaphe en forme de rotonde. Hélas, tout est pour ainsi dire à l’abandon, envahi par une végétation de terrain vague. L’endroit aussi était occupé par un troupeau de baigneurs à la rigolade bruyante, écoutant de musique syncopée en buvant des bières. Et dont les serviettes séchaient sur les grilles du monument. Le cœur d’Anna de Noailles se trouve au cimetière de Publier. Un lieu sans charme aucun. Aride. Les tombes anciennes ont presque toutes été relevées pour laisser place à de vilains monuments de granit poli. Difficile de se recueillir devant le carditaphe. Quand au couvent des clarisses il n’existe plus. On l’a démoli dans les années 1960 pour construire des immeubles. Il ne subsiste de ce temps-là qu’un grand cèdre. Publier est triste et laid. Bétonné, engoudronné. Amphion, bien que plus « résidentiel », n’est guère mieux. Mais il reste le lac. C’est là qu’il faut regarder.