J’ai écrit mon papier sur La justification de l’abbé Lemire, le long poème de Lucien Suel que vient de rééditer Faï fioc, vingt ans après sa première publication. J’avais découvert ce texte par hasard sur Poezibao il y a quelques années en faisant des recherches à propos d’Houplines, la petite ville où ma grand-mère Angèle est née en 1889. Une suite de recoupements m’avaient amené jusqu’à l’abbé Lemire (1853-1928), curé de Hazebrouck et député du Nord qui a voué toute sa vie à la défense des intérêts des plus pauvres. On lui doit les premières avancées du droit du travail, l’aide aux familles, et dans cet esprit, la création des jardins ouvriers. Lucien Suel, lui, dit volontiers que le jardinage est comme une métaphore de l’écriture. Très attaché à sa terre des Flandres, il est, à sa manière, aussi un homme de foi. Le destin de Lemire ne pouvait que le toucher. La forme de son livre saisit d’emblée. La mise en page évoque les carrés d’un jardin potager, ou encore les bancs rangés dans la nef d’une église, et même les sépultures alignées d’un cimetière militaire. Le poème est en effet graphiquement composé sur ses quarante-deux stations de deux colonnes de douze tercets. Chaque vers comporte exactement vingt-deux signes, espaces compris. Et l’écriture est justifiée. D’où le titre qui ainsi rassemble le cadre typographique et l’argument biographique. Rien de rebutant pourtant dans tout cet ensemble. Bien au contraire. Le texte qui se déplie est d’une émotion sobre, profonde. Il parle d’enfance, de foi, de courage, de fragilité. De ce pays du Nord, du bord de l’eau, des terrils miniers, des champs et des sillons. C’est bouleversant. J’ai retrouvée intacte l’émotion de ma première lecture. Et j’y trouve aujourd’hui comme un étrange encouragement pour ma propre écriture.