Je n’ai pas écrit une ligne dans ce journal depuis bientôt six mois. On pourrait dire que vous faites le mort, m’avait lâché Mme Lefrère à la fin d’une séance. J’ai repensé à mes longues, longues années d’analyse avec elle. Ces années à tailler dans l’épais brouillard introspectif, à y faire quelques trouées de clarté incertaine. Avant que tout se voile à nouveau. Pesamment. Cheminer ainsi, fatigué. Si fatigué. Et finir par admettre, par comprendre peut-être, que je ne comprendrai jamais rien. Ou bien plutôt que quelque chose de trop lourd en moi m’empêchait pour toujours de comprendre. A nouveau, je n’ai pas la force. Le refus de mon manuscrit en mars m’a atteint bien plus que je ne le croyais. Ce choc (ça en a été un, vraiment) a fait une brèche dans laquelle se sont engouffrées la dépression et l’acédie. Je reste à flot. Tout juste. Il n’y a pourtant plus de raison pour que je me laisse ainsi envahir. J’ai fait lire le texte. Il a été accepté dans une autre maison d’édition. Je devrais en être heureux, soulagé. Et je le suis d’ailleurs. Mais je me sens incapable de l’exprimer, d’en dire, d’en raconter quoi que ce soit, pris d’une foule de superstitieuses inquiétudes qui tournent à l’angoisse. Je fais le mort. J’ai fait le mort tout le printemps, tout l’été. Cet automne, je voudrais bien revivre.